Tour, Trient, Saleina… un univers d’altitude infini

Pas facile d’exister à l’ombre du Boss, le Mont-Blanc… il m’a fallu près de 35 ans pour prendre le temps d’aller reconnaître ces immenses étendues glacées du nord du massif, tout entier attiré que j’étais par les grands 4000 du sud. J’en suis fort aise, car il est peu d’endroits en France qui soient aussi appropriés à la pratique de l’immersion douce en haute montagne.

Pour résumer, voilà trois vastes bassins glaciaires (glacier du Tour, Glacier du Trient, glacier de Saleina) à peine séparés par des lignes de crêtes rocheuses qui les dépassent de peu et ménagent de nombreux passages de l’un à l’autre. Chacun de ces bassins glaciaires est facilement accessible depuis le bas, par au moins 2 itinéraires de montée – mais souvent plus.

De nombreux sommets très faciles, et quelques-uns un peu plus techniques, s’égrènent le long des crêtes, à des altitudes moyennes (3200 à 3600 mètres).

Tout ceci construit un terrain d’aventure infini, qu’il est possible de parcourir dans tous les sens sans jamais repasser deux fois par le même endroit. Les objectifs peuvent être redéfinis au cours de la progression, au gré des envies, des possibilités, de la forme. Les pentes de neige, faibles presque partout, ménagent de très nombreux et confortables sites de bivouac.

Aussi je ne vais pas vous proposer un itinéraire particulier, qui serait réducteur, mais un ensemble de possibilités, que j’ai presque toutes testées, et que vous pourrez mélanger pour composer votre propre programme.

Le glacier du Tour

Si vous arrivez de France, c’est probablement celui par lequel vous monterez, car c’est le seul bassin qui donne de ce côté. J’ai testé quatre itinéraires différents pour y monter :

Le glacier du Tour, depuis le col des Corbeaux. A droite, le Chardonnet, à gauche la moraine qui monte vers le refuge Albert 1er

Depuis le hameau du Tour, en vallée de Chamonix, le plus couru consiste à prendre la télécabine de Charamillon puis le télésiège des Autannes et à traverser à l’horizontale vers le refuge Albert 1er. Ne restent que 500 mètres de dénivelé pour poser le pieds sur le glacier.

La montée « classique » vers le refuge

C’est bourré de monde, je suis pas fan… Il y a aussi un sentier bien raide qui monte tout droit du Tour au refuge, en empruntant une moraine acérée. Beaucoup moins de monde… mais on reste sur l’accès d’Albert 1er.

Sur la moraine d’Albert 1er, très haut au dessus du hameau du Tour

Pour trouver l’évasion, mieux vaut privilégier la rive gauche de la vallée. Du tour, prendre le sentier de la « Montagne de Péclerey ». A un petit col côté 1967 mètres, prendre à gauche une petite sente qui retraverse tout le versant à l’horizontale en direction du glacier. Peu après le ruisseau du Plagnard, une trace remonte la moraine.

La délicieuse montée vers Péclerey
La montée bien raide de la moraine au dessus de Péclerey. Au fond, le hameau du Tour

Vers 2500 mètres choisir à vue son itinéraire, par la crête de gauche, le névé de la combe… ça passe partout. C’est sauvage, vide d’humains et silencieux, quel contraste avec le chemin d’en face !

Ici, il faut choisir son itinéraire : l’arête du fonds ? Celle d’avant ? Le vallon entre les deux ? Tout est possible, tout est agréable !

A 2700 mètres on rejoint le glacier, il est facile et grandiose de dormir sur la neige

Le camp au sommet de la montée de Péclerey

Autre accès, que je n’ai pas parcouru mais qui est faisable, depuis le glacier d’Argentière et le col du Passon. La fin est raide et un peu instable, mais facile. On prend alors pied sur le glacier à 3000 mètres d’altitude.

Ca y est, on est sur le glacier, tout le bassin apparaît

Une fois sur le glacier du tour, les possibilités sont nombreuses, même pour des gaillard.e.s chargé.e.s. Tête blanche et la petite fourche sont les sommets les plus accessibles. L’aiguille du Tour nécessite de traverser le col du Tour ou le col supérieur du Tour, tous deux relativement faciles, avec tout de même un peu de rocher pour le premier et de pente raide pour le second.

Redescente d’une des arêtes de l’Aiguille du Chardonnet

Plusieurs autres sommets s’offrent au grimpeur, mais ils sortent de la sphère de la randonnée glaciaire : Grande fourche, Aiguille du Chardonnet… A déguster sans les sacs au départ d’un camp bien placé.

Depuis le bassin du tout, de nombreux cols permettent de transiter vers les bassins voisins : les deux cols susnommès (Tour et supérieur du Tour) sont les plus fréquentés, mais le Col du Midi des Grands et le point côté 3094, juste à l’aplomb du refuge Albert 1er, sont également des passages faciles et agréables vers le Trient et le glacier des Grands.

Petit couloir d’accès au col du Tour

Restent la fenêtre du Tour, vers le glacier de Saleina, le col Blanc, vers le Trient, un peu plus raides, qui nécessiteront peut-être un rappel…

Glacier du Tour depuis le col du même nom

Glacier du Trient – Glacier des grands

Pour je ne sais quelle raison, ce très vaste ensemble glaciaire respire un parfum d’ailleurs. On est ici en Suisse, mais ceci explique-t-il cela ? Les pentes sont débonnaires, la pointe d’Orny (qui est plutôt une sorte de plateau) émerge de la glace au centre du bassin et donne une impression sereine, avec sa « cabane » de 128 places. C’est depuis celle-ci qu’arrivent une grande partie des ascensionnistes de l’Aiguille du tour, sommet le plus fréquenté des environs. Les traces interminables, presque rectilignes, qui traversent le glacier peu pentu évoquent des caravanes dans le désert…

L’aiguille du Tour au centre, et le glacier des Grands à gauche, vus depuis le Buet

L’accès à ce bassin se fait essentiellement depuis Champex en Suisse, par le glacier d’Orny ou le val d’Arpette, ou depuis le col de la Forclaz (Suisse également) par Col des Ecandies et le Chaux de Vesevey. Mais il existe depuis la France une possibilité intéressante que je crois très peu fréquentée et qui est magnifique (bien que longue !). Depuis le col de Balme (auquel vous pouvez quasiment monter en téléphérique si cela vous chante), la variante dite « Arpette » du GR du tour du mont-Blanc, très peu fréquentée, permet de rejoindre par une longue horizontale (ou presque) vers l’est le Chalet des Grands Dessus.

A partir de là, une sente remonte un long vallon en direction du (quasiment disparu) glacier des Bron. Au delà de 220 mètres le sentier se perd et il faut procéder à vue, mais il n’y a pas de difficultés particulières à rejoindre le petit col situé au pieds de la « Croix de Bron » (2898 m).

Col de la Croix de Bron

A partir de cet endroit on est sur le glacier des grands, dont la partie supérieure est peu pentue et permet de progresser facilement et agréablement jusqu’au glacier du Trient en longeant les crêtes rocheuses (qui sont d’ailleurs presque toutes de faible difficulté technique si vous préférez le rocher). On passe ainsi devant le point coté 3094 déjà évoqué précédemment qui permet de redescendre en 1/2 heure au refuge Albert 1er, on peut ensuite envisager l’ascension de l’Aiguille du Tour en arrivant de ce côté inhabituel…

Camp au col du point côté 3094
Montée vers l’aiguille du Tour

Une fois sur le glacier du Trient on a accès à tout un univers de sommets nouveaux et différents, comme les aiguilles dorées qui présentent une ou deux ascensions faciles (AD) et beaucoup d’ascensions plus difficiles. On pourra bien sûr rejoindre le glacier du tour par les nombreux cols dont il a été question précédemment, ou bien partir vers le bassin du Saleina, par la Fenêtre de Saleina. Ce passage est facile très tôt en saison, mais il faudra s’en méfier lorsque la neige se fait plus rare : la rimaye peut être méchante, et les pierres pourraient siffler à vos oreilles. Un ou deux rappels seront très utiles.

e glacier du Trient, avec au fonds l’Aiguille du Chardonnet et l’aiguille d’Argentière
Aiguille du Tour, depuis la fenêtre de Saleina

Le bassin de Saleina

Je ne connais qu’à peine ce bassin, dont je n’ai parcouru rapidement que le tronçon d’itinéraire qui va de la fenêtre de Saleina au col du Chardonnet. Je ne peux guère vous en dévoiler les secrets, mais il m’est fugitivement apparu comme sauvage et complexe, aussi je m’empresserai, une prochaine fois, de retourner vers lui et de lui consacrer un temps spécial. Toute le massif de la Grande Lui, en particulier, m’apparaît comme complexe et riche de possibilités d’errances. On verra…

Camp à la fenêtre de Saleina

Sachez au moins que le col du Chardonnet constitue le seul passage accessible à des personnes chargées pour transiter vers le glacier d’Argentière, avec les mêmes réserves que la fenêtre de Saleina. Privilégier le début de saison donc.

Bassin supérieur du glacier de Saleina

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En combinant plusieurs des possibilités que je vous ai décrites, vous pouvez vos programmer sans problème un sacré beau séjour en altitude, sur 2, 3, 4 ou même 5 jours dans les altitudes. Allez, je ne résiste pas à vous en suggérer un, qu’il me ferait plaisir de tester un de ces jours :

Départ du Tour, montée au col de Balme. Variante « Arpette » du GR du tour du mont-Blanc. Montée au glacier de Bron, puis direction l’aiguille du Tour, par la neige ou la crête rocheuse ou les deux. Traversée du col du Tour, direction Tête Blanche, puis la petite fourche. Descente de la fenêtre du Tour sur le glacier de Saleina, passage du col du Chardonnet vers le glacier d’Argentière. (Option : ascension de l’aiguille d’Argentière par le glacier du milieu). remontée au col du Passon, redescente au Tour par la montagne de Péclerey.

Excellent séjour les amis !