Les crevasses

Les crevasses constituent, me semble-t-il, le risque avec lequel on est le plus fréquemment confronté en haute montagne, même en terrain techniquement très facile. Même certains itinéraires d’accès à des refuges (je pense par exemple au refuge des Grands Mulets dans le Mont Blanc, au refuge des Ecrins dans le massif de l’Oisan…), traversent des terrains glaciaires qui présentent en certaines saisons une abondance de crevasses potentiellement dangereuses.

Éviter la chute dans une crevasse

La prévention est bien sûr la solution à privilégier : il faut essayer de bien observer à l’avance la configuration du glacier sur lequel on va s’engager pour prévoir un cheminement qui minimise les traversées de crevasses, et « choisit » celles qui paraissent les plus étroites, les plus fermées. Éventuellement, il faut envisager de renoncer à s’y engager si on estime les difficultés trop nombreuses ou trop dangereuses par rapport à son expérience personnelle.

Minimiser la chute

Éviter le problème n’est pas toujours possible, et dans une vie d’alpiniste il y a forcément des chutes en crevasses.

La gravité ou non du dénouement de l’affaire dépendra alors essentiellement

  • de la configuration du terrain (largeur de la crevasse, consistance de la neige…)
  • de la qualité de l’assurance (positionnement par rapport à la crevasse, type d’encordement, compétence et réaction du ou des équipiers…). Jetez donc un coup d’oeil aux pages concernant la progression sur terrain glaciaire peu pentu.

Assez souvent, le terme de « chute » n’est pas vraiment approprié : tout au plus sent-on le sol s’affaisser sous ses pas, pour se retrouver à moitié enfoncé dans une zone meuble, retenus par la corde (s’il y en a une !). Quelques contorsions suffisent généralement à s’en extraire.

Extraire la personne tombée

Mais, parfois, la cordée se retrouve bel et bien avec une personne suspendue à quelques mètres sous la surface, et il est important de savoir réagir correctement. Il y a grosso-modo deux manières de résoudre le problème :

  • Soit la ou les personnes qui sont restées à la surface extraient la personne qui est au fond. Cela nécessite la connaissance de quelques gestes techniques.
  • Soit la personne tombée doit sortir elle-même de la crevasse. Ce cas de figure se rencontre généralement dans le cas de cordées de 2 personnes, ou lorsque les personnes restées en haut n’ont pas les connaissances techniques nécessaires à l’extraction.

Dans tous les cas de figure, il y a d’abord quelques geste préparatoires à accomplir par la personne qui est au fond (enlever son sac à dos) et par les personnes qui sont en haut (aménager le site et sécuriser la cordée). Ce n’est qu’alors qu’on peut faire le choix de l’une ou l’autre des méthodes.

Précisions importantes :

  • les conseils donnés dans cette rubrique ne sont applicables que si l’encordement des membres de la cordée était correct, et que chacun dispose bien de son matériel individuel (sangles, cordelettes, etc, voir l’encordement pour plus de précision). Si ce n’est pas le cas, la situation peut facilement virer au drame..
  • Les manips décrites ici ne sont pas faciles à improviser en situation réelle, alors qu’on ne les a jamais pratiquées. Il est absolument nécessaire de s’y entraîner avant. Vous trouverez dans ce site des conseils pour mettre en place une école de crevasse.

S ‘occuper de la personne

Enfin, si la personne est choquée ou blessée, il faut s’en occuper correctement.

Sortir seul d’une crevasse

Vous voici donc suspendu à votre corde, 2 ou 3 mètres sous la surface du glacier. A l’autre bout de la corde, vos compagnons de cordée vous retiennent. S’ils sont 2 ou 3 là-haut et qu’ils connaissent les manips, ils vous auront vite sorti. S’il est seul, ou si aucun d’entre eux ne sait comment faire, c’est sûr il sera plus rapide de remonter vous-même.

Le principe consiste à utiliser la corde qui vous retient comme corde de progression, et de remonter le long de celle-ci grâce à des nœuds autoblocants, un peu comme le font les spéléologues avec leurs jumars et étriers.

Voici une marche à suivre efficace :

  • Si votre sac à dos est lourd, enlevez-le et suspendez-le au bout de la cordelette qui le relie à votre baudrier. Si c’est possible, demandez à une personne restée en haut de le treuiller pour vous libérer.
  • Demandez également à cette ou ces personnes de sécuriser la cordée et d’aménager le site.

Vous pouvez maintenant mettre en place votre appareillage de remontée :

  • Confectionnez un nœud autoblocant, placez-le sur votre corde à 20 cm au dessus de votre noeud d’encordement, accrochez-en l’autre extrémité à votre baudrier.
  • Confectionnez un second autoblocant, placez-le au dessus du précédent, allongez-le d’une sangle, il constituera votre poignée et votre pédale.
  • Passez le pied dans la pédale, montez l’autoblocant de telle sorte que vous puissiez vous mettre debout dans la pédale et vous hisser de quelques dizaines de centimètres
  • Mettez-vous debout, montez votre autoblocant de corps le plus haut possible. Vous pourrez maintenant vous « rassoir » dans votre baudrier, qui est maintenant entièrement soutenu par l’autoblocant de corps. Vous venez de monter de quelques décimètres.
  • Progressez comme ça jusqu’à sortir de la crevasse. Si la lèvre est surplombante et en neige molle, il vous faudra creuser pour passer. Courage !

Sortir une tierce personne d’une crevasse

Quelque soit la manière dont la personne va sortir ou être sortie de la crevasse, il faut immédiatement procéder à quelques opérations d’urgence :

La personne qui est au fond enlève son sac à dos

Vous êtes au fond. Si votre sac à dos est lourd (ce qui est inévitablement le cas en raid), il va vous gêner considérablement, vous couper la respiration, voire vous faire basculer en arrière. Il est votre première préoccupation :

  • Si vous avez bien fait les choses au moment de vous encorder (voir « Encordement« ), il est assuré à notre baudrier . Enlevez-le et laissez le pendre entre vos jambes.
  • Si votre second de cordée dispose d’un bout de corde supplémentaire et se sent capable de faire la manipulation, demandez-lui de le treuiller. Dans le cas contraire, au moins il ne pèsera plus sur vos épaules et ne vous fera pas basculer en arrière.

Le second de cordée sécurise la cordée et aménage le site

Si vous êtes nombreux sur votre cordée (4 personnes ou plus), il n’est pas forcément nécessaire d’assurer la cordée. Il suffit que les personnes restées à la surface se positionnent alignées, corde bien tendue entre eux, pour constituer un ancrage tout à fait solide. Si au contraire vous êtes 3 ou moins, il faut commencer par assurer la cordée pour être sûr qu’elle ne sera pas entraînée à son tour dans la crevasse.

  • Installez un point d’ancrage (broche à glace ou corps mort selon le substrat), au niveau de la personne qui est à l’autre extrémité de la cordée. Assurez-y la cordée grâce à un nœud

    autoblocant ou équivalent.

L’aménagement du site consiste à préparer les environs pour faciliter les manipulations qui vont suivre.

  • Détachez-vous de la cordée, puis assurez-vous le long de la section de corde qui part vers la crevasse grâce à un second autoblocant. Vous pouvez maintenant vous déplacer dans un sens ou l’autre sans risquer de passer vous-même dans la crevasse.
  • Allez au bord de la crevasse voir comment va la personne qui est au fond. Si vous disposez d’un bout de corde supplémentaire, treuillez son sac à dos pour le libérer.
  • Aménagez la bordure de la crevasse. Pour cela, dégagez la corde (qui est généralement profondément enfoncée dans la lèvre neigeuse), essayez de glisser en dessous un objet (par exemple un sac à dos vide) qui l’empêchera de s’enfoncer encore plus profondément et permettra à la corde de mieux coulisser lorsque la manœuvre de remontée sera en cours.
  • Enfin, entendez-vous avec la personne qui est au fond pour savoir si elle va remonter d’elle-même ou si vous devrez la remonter

Je me positionne ici dans le cas de la remontée d’une personne qui est tombée dans une crevasse tout en étant normalement assurée à une cordée. Si ce n’est pas le cas, il y a tout lieu de penser que vous êtes en présence d’un accident grave, il faut à tout prix et immédiatement alerter les secours.

Extraire une personne d’une crevasse est généralement assez simple et rapide dans le cas d’une cordée de 3 personnes ou plus :

  • Il y a de la main-d’œuvre disponible pour tirer, on pourra donc éventuellement se passer d’installer un dispositif de traction
  • Le poids des personnes qui sont restées en haut rend improbable l’entraînement de la cordée dans la crevasse, et permet donc de simplifier l’installation à mettre en place (on peut éventuellement se passer d’installer un point d’ancrage)

L’extraction sera par contre nettement plus technique et compliquée dans le cas d’une cordée de 2 personnes : la personne restée en haut doit simultanément retenir son compagnon, s’assurer elle-même, mettre en place un dispositif de démultiplication des forces pour le remonter, et enfin procéder à l’extraction, ce qui est loin d’être de tout repos, et peut nécessiter des efforts très importants.

Cas d’une cordée de 3 personnes ou plus

Voici une démarche simple :

  • Trouver ou confectionner un point d’ancrage solide (par exemple un corps mort)
  • La personne qui est à l’extrémité de la cordée positionne un nœud autoblocant sur sa corde, qu’elle relie au corps mort de telle sorte que la cordée soit assurée au sol
  • L’une des autres personnes de la cordée se détache, s’assure sur la corde au moyen d’un autoblocant et rejoint le bord de la crevasse.
  • A l’aide d’un autre autoblocant, cette personne remonte la personne qui est au fond (voir encadré).

Utiliser un autoblocant pour tracter un corps

  • Installer l’autoblocant sur la corde au ras de la lèvre de la crevasse
  • Prendre une position qui permet d’appliquer sur l’autoblocant une force puissante et efficace vers le haut.
  • Tirer de quelque centimètres vers le haut. La ou les autres personnes de la cordée tirent vers l’arrière pour avaler la longueur de corde que vous avez gagnée.
  • Répéter l’opération autant de fois que nécessaire

Cette démarche nécessite une bonne force physique. Si la cordée est de 4 personnes ou plus, 2 d’entre elles peuvent unir leurs efforts pour tirer vers le haut (elles doivent alors toutes deux penser à bien s’assurer sur la corde !!!)

C’est un cas de figure plus difficile : celui qui est resté en haut n’aura pas seul la force de tirer l’autre. Il doit mettre en place un système d’assurance et de démultiplication des forces qui lui permettra d’arriver à ses fins. Voici comment procéder

  • Trouver ou confectionner un point d’ancrage solide (une broche à glace, un corps mort). Cette opération est en elle même déjà délicate car la corde est fortement en tension sous le poids de la personne qui est suspendue. Vous devez ainsi creuser et mettre en place le corps mort en vous arc-boutant pour résister, c’est très, très coton… mais là, il n’y a pas le choix, c’est ça ou ça va très mal tourner, alors généralement on trouve l’énergie !!!
  • A l’aide d’un autoblocant, assurez la cordée au corps mort, et transférez doucement la traction de la corde sur cet autoblocant.
  • Ouf, vous voilà libre de vos mouvements. Détachez-vous de la cordée, et assurez-vous le long de la corde grâce à un autoblocant. Vous pouvez circuler le long de la corde.
  • Vous devez maintenant installer un mouflage au niveau de votre corps mort, qui vous permettra (mais avec beaucoup d’efforts tout de même !) à la fois de remonter progressivement votre compagnon de cordée, et d’assurer cette remontée. C’est là un autre niveau d’exercice, qui nécessite un réel entraînement.