Mécanique de la chute d’un corps

Quand j’avais 20 ans j’étais passionné de physique, je suivais une licence du même nom, je me voyais chercheur ou je ne sais quoi d’autre. Tout ça est oublié depuis longtemps, mais je ne résiste pas au plaisir d’aligner à nouveau quelques équations de mécanique qui étaient alors mon quotidien, histoire d’illustrer concrètement ce que ça fait lorsqu’une corde nous sauve la vie.

Imaginez : vous, être vivant de masse m, tombez en chute libre. Votre vitesse de chute augmente selon la formule :

v = gt

où t est le temps depuis lequel vous tombez, et g est la constante de gravitation universelle, à savoir 9,81 m/s².

Votre énergie cinétique, qui dépend de la vitesse, augmente dans des proportions encore bien pires :

Ec = 1/2.m.v²

où m est votre masse et v cette fameuse vitesse. On a donc :

Ec = 1/2 m g²t²   (1)

On constate avec cette formule que l’énergie cinétique d’un corps en chute libre augmente dramatiquement vite puisqu’elle varie avec le carré du temps écoulé. Au bout de 2 secondes de chute, l’énergie cinétique sera non pas 2 fois, mais 4 fois supérieure à celle que l’on mesurerait au bout d’une seconde de chute. Après 3 secondes elle est 9 fois supérieure, après 4 secondes, 16 fois, etc…

En quoi cela est-il important de connaître son énergie cinétique au cours d’une chute ? Parce que cette énergie cinétique est celle qui va s’appliquer à votre corps lorsqu’il va rencontrer un obstacle; Si vous tombez depuis longtemps et que vous croisez un obstacle dur (le sol, par exemple), votre corps va restituer de manière instantanée une quantité d’énergie qui peut être énorme, ce qui le détruira irrémédiablement.

Si vous avez été prévoyant et que vous êtes (correctement) encordé(e), l’énergie cinétique que votre corps a acquis au cours de la chute correspond à l’énergie qu’il va falloir déployer pour immobiliser votre chute. Une corde d’escalade sert précisément à ça : à partir du moment ou elle se tend, elle applique à votre corps une force de direction opposée à celle de votre chute. Cette force va « travailler » à freiner votre chute. L’énergie qu’elle déploiera pour cela suivra la formule générale :

Ec finale – Ec initiale = somme (Wf)

C’est le fameux « théorème de l’énergie cinétique ». Ecfinale est l’énergie cinétique en fin de ralentissement. Elle est donc égale à 0, puisqu’à priori vous souhaitez réussir à arrêter totalement votre chute. Ec initiale est l’énergie cinétique de votre corps au plus fort de sa chute, soit celle calculée dans (1).

somme (Wf) est la somme des travaux des forces appliquées au corps. Appliquée à notre cas particulier, la formule devient

Ec = Wr = 1/2 m.g²t²

C’est à dire que la variation d’énergie cinétique du corps freiné par la corde est égale au travail de la force de rappel de la corde (seule force appliquée ici si on néglige le frottement de l’air).

Que vaut cette force de rappel de la corde ? C’est une donnée qui dépend évidemment de son élasticité : lorsque la corde n’est pas encore tendue, la force de rappel est nulle. Puis, progressivement, la corde se tend, et la force de rappel augmente. Elle arrive jusqu’à un maximum (limite d’élasticité de la corde) au delà duquel la corde se brise. Le fabricant peut vous fournir une courbe de la force de rappel de la corde en fonction de son élongation. Sachez aussi que plus le brin de corde utilisé est court, plus la possibilité d’élongation est faible.

Bref, le calcul exact des dommages subis par le corps en question n’est pas évident pour quelqu’un de mon modeste niveau car plein de paramètres varient en même temps : dans le temps où la corde freine votre corps, la gravitation continue son action et tend à l’accélérer.

De tout ceci on peut tout de même déduire quelques petits faits intéressants :

  • Il viendra un moment ou le travail dû à la force de rappel de la corde sera supérieur au travail du poids, c’est à partir de ce moment précis que votre corps commencera à ralentir. Avant d’atteindre ce moment, il se contentera d’accélérer moins vite mais sa vitesse sera toujours en augmentation.
  • Il vaut mieux que la force de rappel de la corde commence le plus rapidement possible son travail pour contrebalancer au plus vite le travail de la pesanteur. D’où l’intérêt de s’assurer en permanence, lors de la progression, que sa corde est parfaitement tendue.
  • Il vaut mieux que la distance de ralentissement soit assez longue pour que la force de rappel ne soit pas trop violente. Si la force de rappel est énorme (par exemple parce que vous vous êtes trompés, vous avez emporté une corde de spéléo, qui n’a que très peu d’élasticité), votre corps va s’arrêter très vite, mais il risque de souffrir au passage, voire d’être complètement disloqué. Si par contre la force est trop faible, elle peut ne pas suffire à freiner totalement votre corps, simplement à ralentir son accélération, voire à stabiliser sa vitesse. Il faut donc essayer d’appliquer à votre corps une force d’intensité adaptée pour ralentir progressivement votre corps sans que ça se fasse trop vite. C’est le principe de l’assurage dynamique, pour lequel le second laisse filer un peu de corde pour allonger la distance de freinage de son premier.

C’est intéressant de savoir tout ça, mais évidemment c’est pas facile de l’invoquer durant une chute. raison de plus pour faire des exercices d’assurage !