Le mot « cupule », issu du latin cupula (petite coupe) désigne un creux circulaire de petite dimension pratiqué dans la roche. Le mot vient-il du terme botanique (les cupules de gland, par exemple, dont la forme correpond tout à fait à celles dont il est question ici), ou le transfert de signification s’est-il fait dans l’autre sens ?
Les cupules, particulièrement nombreuses en Cévennes, se rencontrent aussi dans d’autres parties de France et d’Europe, et elles présentent partout des grandes diversités de formes et de localisations.
En Cévennes, on en trouve sur des dalles de dolmens, sur des menhirs, sur des falaises ou sur des blocs rocheux isolés. Selon l’endroit, elles sont taillées dans le schiste (le plus souvent), le granite, plus rarement dans le calcaire ou le grès.
Elles peuvent être isolées, ou au contraire en groupes de dizaines d’unités. Certaines sont reliées par des « rigoles ». D’autres de petites tailles sont placées au bout des bras d’une croix gravée, créant ainsi des « croix bouletées ». Certaines cupules de forme allongée rappellent des traces de pas et sont alors nommées « pédiformes » (dmc, p.15). Vincent Aubanel, prospecteur assidu de cupules cévenoles, a cru remarquer des logiques de disposition variant avec les endroits : « Sur la crête à l’ouest de Trabassac la majorité des cupules vont par trois (lignes ou triangle), et au dessus du Collet de Dèze vers le Mas Soubeyran elles vont par paires (reliées ou non en haltère).«
Leur diamètre peut varier de 2 à 10 centimètres et leur profondeur de 1 à 10 centimètres. On peut en observer de plus grandes, mais au delà de ces dimensions on parle plutôt de « bassin ». Elles ont généralement une forme bien ronde.
L’origine des cupules soulève assurément plein de questions. La première consiste déjà à se demander au cas par cas si elles sont naturelles ou artificielles… ou les deux. Entre un vague trou informe dans la roche qui est très probablement naturel et un ensemble parfaitement régulier et structuré comme celui de rocher des Conques qui est sans aucun doute artificiel, tous les cas intermédiaires existent, dont une bonne partie ne peuvent pas être considérés comme assurément d’origine humaine.
L’explication communément avancée pour expliquer la formation d’une cupule naturelle est la suivante : une petite dépression dans la roche permet à un peu d’eau de pluie de s’accumuler. Plusieurs processus d’érosion naturelle peuvent alors entrer en action. Sur les roches calcaires, il peut s’agir de simple dissolutions dues à l’acidité naturelle des eaux de pluie (comme pour la formation des grottes). Pour tous les types de roches, l’alternance gel-dégel est opérante : le froid fait geler l’eau qui stagne sur des surfaces légèrement creuses. La glace, en augmentant son volume, fait craquer la roche autour des micro-fissures dans lesquelles elle s’est infiltrée. Au dégel, les micro résidus de roche se détachent, et au regel un nouveau cycle commence, agrandissant et approfondissant ainsi les creux préexistants, tout en expliquant leurs formes régulière. Ces phénomènes sont bien connus des géologues, pour lesquels d’ailleurs, le terme de cupule ne désigne pas un artéfact humain mais une simple « forme en creux de dissolution ». CQFD.
Concernant les cupules d’origine artificielle, je n’ai pas lu d’explications claires sur le processus de fabrication. On ne voit généralement pas de traces de percussion, la régularité du tracé fait plutôt penser à un creusement par frottement régulier… Il est d’ailleurs tout à fait probable que certaines cupules aient eu une origine naturelle et qu’elles aient simplement été approfondies ou retouchées par l’homme.
Le problème qui se pose pour mieux comprendre l’origine des cupules, c’est qu’elles sont impossibles à dater. Les méthodes comme celle du carbone 14 ne s’appliquent qu’à des matériaux issus du monde vivant. Des sources écrites en signalent déjà il y a plusieurs siècles, mais comment remonter au delà ? A l’heure actuelle on suppose qu’elles ont pu être gravées sur une très large période : certaines pourraient dater de la fin du néolithique ou de l’époque gallo-romaine, mais il semble établi que les hommes ont continué à en graver jusqu’au XIXème siècle… voire plus récemment encore puisqu’on entend parfois parler de « graveurs de cupules » aujourd’hui même.
Alors, finalement : pourquoi ces cupules ? Voici quelques hypothèses avancées par les uns ou les autres. Certaines semblent très vraisemblables, d’autres sont sans doute plus fantaisistes, faites votre choix :
- Certains font l’hypothèse que le rôle des cupules est cultuel, sans pour autant préciser de quel type de culte il peut s’agir.
- En Cévenne, d’autres estiment avoir établi une relation entre les cupules et la vie pastorale, en constatant qu’elles semblent plus abondantes aux abords des voies de transhumance. Mais il en existe aussi dans des sites qui ne peuvent pas être spécialement rattachés à la vie pastorale.
- On parle aussi de symboles destinés à se repérer, à signaler des itinéraires.
- Il semble certain que certaines cupules aient servi de bornes pour délimiter des territoires. En 1903, le célèbre folkloriste A. Van Gennep écrit dans Revue des traditions Populaires, 1903/12, p 592 : « Pour indiquer les limites des pâturages (qui descendent suivant la pente des montagnes), on choisit d’ordinaire une grande roche sur laquelle on creuse au ciseau soit une rigole verticale, soit une rigole ayant différentes formes […] ». Suivent deux reproductions de gravures de bornage observées à Ispagnac, qui ressemblent à s’y méprendre à certaines cupules et gravures que l’on peut par exemple observer sur le rocher des fées de Barre des Cévennes. De quoi réfléchir sur nos interprétations parfois hâtives !
- Certains évoquent des dispositifs pour recueillir les eaux de pluies. Cela semble raisonnable pour certains sites ou l’on peut observer des bassins reliés par des rigoles, mais l’hypothèse en tient pas devant certains ensembles de cupules gravées sur des supports verticaux.
- Une intéressante hypothèse trouvée sur un blog perso (http://hirminte.free.fr/html/e6_hypo.php). L’auteur, qui semble bien connaître la vie pastorale, imagine que les cupules étaient creusées par les bergers pour y déposer les blocs de sel nécessaires aux troupeaux. La forme en creux permettait de recueillir l’eau salée résultant du contact des pluies avec les blocs, évitant ainsi de perdre de cette matière si précieuse à l’époque et là-haut. Dommage que l’auteur de cette hypothèse intéressante soit si affirmatif, voire méprisant pour les autres hypothèses que la sienne car elle ne peut expliquer qu’une petite partie des cas. Quid des cupules très profondes, ou bien celles situées au sommet de rochers inaccessibles aux troupeaux, les cupules sur surface verticales, les cupules très petites…
- Mais on pourrait trouver d’autres explications parfaitement raisonnables : quel enfant qui s’ennuie n’a pas joué à graver la roche ? Ou un berger qui surveille son troupeau…
L’imagination va bon train… Et s’il n’y avait pas une explication unique, mais plusieurs ?