Rocher des fées du Barret : compte-rendu de fouille

La Can de l’Hospitalet est une longue bande de terrain calcaire orientée nord-Sud avec un étranglement central. La partie Nord qui s’élargit vers l’Est depuis le col de Faysses jusqu’à la Can Noire présente un versant exposé au SUd. Le lieu dit « Barret » sur lequel se trouve le rocher des Croix occupe la partie haute de ce versant, entre les côtes 1027 et 1037 et à 1,5 km au Sud-est des ruines du château de terre Rouqe . Cadastre de la commune de Barre des Cévennes, feuille GI, parcelles 2 et 3 (nos sondages se trouvent dans la parcelle 3).

Si on aborde le site depuis le sommet de la Can, il faut emprunter une échancrure au fond de laquelle serpente un filet d’eau et dévaler une centaine de mètres de pente assez raide (calcaire) jusqu’à une barre de grès triasique (falaise faiblement incurvée, longue de 60 m, et haute de 6 m environ) .De cette falaise se sont détachés plusieurs blocs qui ont roulé sur une pente douce (micaschiste), plus loin le relief schisteux, déchiqueté et escarpé, plonge dans la vallée. Parmi le chaos de rochers, le bloc central, le plus volumineux, porte sur sa face sud une cinquantaine de croix ou anthropomorphes gravés d’où le nom de rocher des croix (1) .

Plan des fouilles effectuées autour du rocher des Croix au Barret. Extrait de rac, p. 50

On remarque quelques gravures isolées sur les blocs voisins, des cupules, deux « escaliers » (:petites encoches superposées dans la paroi presque verticale). Il existe aussi trois encoches rectangulaires plus importantes : l’une est à 1m du sol, les deux autres sur la paroi nord du rocher gravé sont A 1,80 et 2,30 m du sol. S’agit-il d’emplacements de poutre ? (voir plan d’ensemble , fig. 18).

Le surplomb de la falaise et d’un bloc effondré forme deux abris relativement spacieux. Le toit de ces abris est entaillé par une rigole profonde actuellement de 15 on et large d’autant. Pensant qu’il s’agissait d’un aménagement destiné à assainir les abris, nous avons supposé que les graveurs avaient pu séjourner dans ces lieux hospitaliers confortablement exposés au midi et arrosés par un ruisselet. Notre conviction était renforcée par l’existence de terrains fertiles, un peu trop lourds peut-être pour les moyens dont disposaient les préhistoriques, et par l’abondance des débris de chaille et de quartz sur le versant calcaire (2) .

Afin de nous en assurer et d’apporter du même coup un élément de datation ‘pour les gravures, nous avons fait trois sondages : un dans chacun des abris et un troisième au pied de la paroi gravée (3). Dans un premier temps nous allons exposer le résultat de ces travaux puis nous reviendrons sur la description des gravures, principalement sur celles de la paroi centrale.

Les recherches (situation voir fig. 18 et fig. 19)

Le premier sondage affecte la partie centrale de l’abri le plus spacieux situé à l’extrémité est de la falaise. Nous l’appellerons sondage I.

Stratigraphie du sondage 1 : (voir coupe ci-dessous) -2,5 x 1 m.

  • Couche I: Humus sableux, noir et pierres. Régulièrement labourée. Épaisseur maximum 25 cm. Elle disparait au milieu du carré B. Trois minuscules débris charbonneux.
  • Couche II : Terre sableuse, marron à grisâtre provenant de la désagrégation du grès, nombreux grains de quartz et quelques pierres en calcaire. Réseau de racines particulièrement dense. La puissance varie entre 10 et 25 cm. Dans le carré B et au sommet de la couche gisait un petit galet aménagé.
  • Couche III : Sable jaune (décomposition du grès) avec fragments de quartz. Épaisseur maximum 25 cm.
  • Couche IV : Argile blanchâtre à jaune très collante. Épaisseur moyenne 40 cm. Vers le milieu de cette couche, lit de petits cailloux anguleux, formé de grains de quartz et de morceaux de grès détachés de la falaise, partiellement soudé par un dépôt ferrugineux. IV’, épaisseur 2.à 3 cm. A la base de la couche, blocs de grès recouverts d’une croûte couleur rouille.
  • Couche V: Micaschiste altéré, facilement attaquable au grattoir. Sondée sur 20 cm. Le sondage a été interrompu à Z 130, mais dès la couche IV, il était nécessaire à chaque reprise du travail de pomper l’eau qui suintait en abondance. A notre grande désillusion nous n’avons pas rencontré de niveau d’habitat. Le galet de quartz taillé est un objet isolé, séparé de tout contexte et difficilement datable. Il s’agit d’un petit galet ovale, aménagé par un enlèvement transversal oblique et par deux retouches secondaires inverses. Ses  dimensions  : 70 x 55 x 25 mm.

Un gros bloc effondré au pied de la falaise (extrémité ouest) forme un petit abri sur le toit duquel une rigole au profil en « V » est nettement visible. Nous avons choisi cet emplacement pour entreprendre le sondage 2.

Stratigraphie du sondage 2 : (voir plan et coupe fig. 21). 1,5 x 0,7 m.

Dans ses grandes lignes elle est comparable à la précédente.

  • Couche I : Humus et pierres en calcaire abondantes, teinte noire. Épaisseur 30 cm, côté paroi elle repose sur un bloc de grès.
  • Couche II : Sable meuble, grisâtre s’éclaircissant vers le bas. Mélange du produit de la décomposition du grès et de l’humus. Épaisseur maximum 40 cm.
  • Couche III : Sable jaune, tassé. Mêmes matériaux que précédemment mais sans humus. Épaisseur : 20 à 25 cm.
  • Couche IV : Micaschiste altéré, argile. Sondé sur près de 10 cm. Arrêté à Z 120, le sondage s’est révélé totalement stérile.

Enfin le troisième sondage se situe contre le bloc central au pied même de la face gravée.

Stratigraphie du sondage 3 : 1,10 x 1 m.

  • Couche I : Humus noir, quelques éclats et des plaques de micaschiste détachées de la couche sous-jacente par le soc de la charrue. Épaisseur maximum 30 cm. Couche périodiquement labourée sauf à proximité de la paroi. Un minuscule tesson.
  • Couche II : Terre rouge, argileuse, avec plaquettes de micaschiste. Cette couche provenant sans doute de la décomposition du calcaire a une épaisseur moyenne de 10 cm contre le rocher, elle disparait 70 cm plus loin.
  • Couche III: Micaschiste (socle schisteux).
Site du rocher des fées, coupe a2

Cette série d’investigations est décevante, de nos espoirs de découvrir au moins quelques traces d’habitat et, peut-être, de faire progresser la datation des gravures il nous reste deux témoins atypiques. Le minuscule tesson, recueilli dans la couche superficielle piochée et labourée il y a encore peu d’années provient d’un vase à paroi fine et sans doute confectionné au tour. La pâte, gris-clair est à fin dégraissant brillant (paillettes de mica) la face externe porte un engobe noir. Il pourrait être gallo-romain ou plus récent mais en aucun cas antérieur à notre ère.

Le galet à tranchant aménagé est plus digne d’attention malheureusement sa datation est problématique. Nous le verrions volontiers contemporain des stations de surface découvertes par C. Hugues sur la Can et plus particulièrement de celle toute proche de la Can Noire (4). A-t-il été abandonné par un ouvrier graveur ? A-t-il été perdu au cours d’un déplacement ? A-t-il tout simplement glissé le long de la pente avant de disparaître dans la terre remuée ? Si des fouilles plus étendues sont un jour entreprises elles fourniront, peut-être, des éléments de réponse mais il est douteux qu’elles mettent au jour un niveau d’habitat de longue durée (à moins que les aires de séjour soit à rechercher ailleurs, près des emplacements des encoches destinées à recevoir l’extrémité de poutres par exemple). Dans ce cas, les rigoles n’auraient plus pour mission d ‘ assécher lés abris mais plutôt de canaliser et de recueillir l’eau de pluie ruisselant sur la roche. Faut-il y voir un culte de l’eau à mettre en parallèle avec les cupules et, qui sait, avec les gravures ? Et si le
but recherché était utilitaire : fournir de l’eau potable lorsqu’une période humide transformait le ruisselet en torrent boueux.

Description des gravures (pour les emplacements se reporter au plan
d’ensemble, fig. 18) .

Toutes ces incisions sont usées, voire partiellement effacées par l’érosion qui désagrège la roche. Elles ont, sans doute, été obtenues par piquetage puis régularisées par polissage, un galet tranchant en quartz du genre de celui découvert dans le sondage 1 devait convenir. Toutefois, les sillons profonds, avec un profil en V aigu, et les encoches anguleuses pourraient être l’œuvre d’un instrument métallique.

Site du rocher des fées, coupe a

Nous distinguerons trois sortes de gravures :

  • les rigoles et encoches,
  • les cupules,
  • les croix.

A / Les rigoles et les encoches

Nous avons repéré 5 rigoles, 4 sont sur le toit de l’abri plus ou moins importants quant â la cinquième, elle coupe un plan incliné. La plus longue, située sur l’abri n° 1, approche 7 m; les eaux de ruissellement en ont emporté une partie. La profondeur et la largeur de ces rigoles à section en V sont de 15 cm en moyenne. Des rigoles superficielles sont incertaines.

Les encoches sont au nombre de trois (deux exemplaires trop douteux n’ont pas été figurés sur le plan). La plus grande, et aussi la mieux conservée, décrit un carré de 40 cm de côté sur l’arête supérieure d’un bloc immobilisé au pied de la falaise près le l’abri n° 1.

B / Les cupules

On les trouve essentiellement au sommet du bloc éboulé le plus éloigné de la falaise. Quatre cupules (15 cm de diamètre, profondes de 10 cm et à fond plat) , reliées par un sillon en croix, fortement érodé délimitent un losange de 40 cm de côté. A 2m une cupule et un bassin ovale communiquant par un sillon donnent une curieuse figure en T (40 X 30 X 8 cm). Quelques creux, disséminés, dont deux jumelés, sont peut-être naturels.

Il reste les « escaliers » faits de petites encoches (sorte de cupules) superposées (5). Le plus intéressant escalade la paroi sud du rocher précédent, il compte 14 marches doublées dans la partie supérieure d’un étagement de 4 marches distant de 20 cm environ. Les marches inférieures ont récemment été retaillées avec le tranchant d’une pioche. Il est impossible en mettant l’extrémité des pieds dans les creux de gravir cette roche qui est pratiquement verticale sur 4 m de haut. Un second « escalier », formé de 10 marches irrégulièrement disposées, entaille la seule voie d’accès au faite du rocher gravé. Cette voie débute par des blocs amoncelés contre la face ouest, au-dessus il faut s’agripper aux aspérités naturelles et loger la pointe des pieds dans les encoches.

C / Les croix

Tous les signes cruciformes, à l’exception de cinq isolés sur les blocs voisins, sont groupés sur la face sud du bloc central. Cette paroi verticale, lisse sur toute sa surface se prêtait magnifiquement à la gravure, elle mesure 4m de long sur près de 5m de haut. Le bandeau central, qui seul est gravé, se situe entre 0,5 et 1,65 m au dessus du sol. Un signe ovale -vulve ?- placé à plus de 2m du sol est, peut-être, naturel. Tous ces tracés sont aujourd’hui usés, plusieurs sont incomplets ou indéchiffrables. Ils ont un profil en U ouvert. Les tronçons les mieux conservés ont en moyenne 20 mm de largeur et 10 à 20 mm de profondeur, ils paraissent avoir été exécutés par piquetage, à l’aide d’une pointe peu résistante (pic en roche dure ?).

Une croix de petites dimensions diffère du lot précédent par son profil en V. Est-elle plus récente ou a -t-elle été rafraichie avec un outil métallique ? (situation voir fig. 22 au-dessus de la flèche).

La figure ci-dessous est une réduction d’un relevé par calque direct des gravures certaines, les tiretés indiquent les tracés probables mais très effacés, les gravures trop incertaines n’ont pas été reproduites.

Sans entrer dans une analyse détaillée de cette cinquantaine de signes géométriques très simples et sans oublier le chevauchement probable de quelques figures on peut esquisser le classement suivant :
Croix simples : 24

  • Croix à deux branches transversales : 2
  • Croix cupulées : 12
  • Croix haussées sur pied : 4
  • Croix avec branche transversale coudée : 2
  • Bâtonnets ou figures incomplètes : 14
  • Figures curvilignes : 5
  • Cupules : 3

Ces figures, décrites en 1967 par M. Lorblanchet, s’apparentent aux signes gravés sur un plan incliné gréseux du col de Portes près Florac (6). Ce remarquable ensemble associe des croix simples, des croix cupulées, des « arbalétiformes » et des gravures anthropomorphes plus complexes. L’assciation de cruciformes et d’antropomorphes se retrouve sur le piton qui supporte le château de Dèze, le Collet de Dèze (7).

S’il est délicat de proposer une datation sérieuse de cet art schématique, il ne fait aucun doute qu’il s’agit de représentations stylisées de la forme humaine. Sans insister sur les deux représentations suffisamment « parlantes », les croix cupulées -la branche principale ou 3 branches terminées par une cupule – et les deux croix juchées sur un signe en arceau ou celle qui surmonte un triangle sans base sont significatives (8). Il nous parait raisonnable d’admettre que les croix de la Can furent gravées dans un laps de temps assez court. De l’ensemble du panneau ressort une impression d’homogénéité, d’équilibre tant au point de vue graphisme -il est vrai que ces signes sont bien simples- que disposition et technique de gravure.

Un dernier bloc immobilisé à 25 m contrebas de la paroi précédente présente, sur sa face sud-est, un groupement original de 5 signes (fig. 22, n° 1). Gravés à 1 m environ au-dessus du sol, selon la technique courante, on déchiffre de droite à gauche; une croix cupulée, deux figures carrées enserrant une croix, un signe en D et un signe en arceau barré – ce signe en arceau est, peut-être, une figure carrée inachevée ou partiellement effacée.

Les effets superficiels de l’érosion étant rapides sur le grès, l’altération qui affecte uniformément la paroi et les gravures et qui donne à ces dernières un aspect « ancien » n’est pas un critère probant. Avec prudence et par comparaison avec des séries de même type soit gravées soit incisées nous pensons qu’elles sont antérieures au christianisme et qu’elles pourraient appartenir à l’âge des métaux, plus précisément à la fin de l’âge du Bronze (9).

Signalons enfin, sans en tirer aucune indication chronologique, l’existence de plusieurs tumulus alignées sur le rebord de la Can à 500 m au Nord-Ouest (10).

Notes

(1) Il est aussi appelé « Le rocher des Fées » (Lou Roc de Las Fados).

(2) N. Bastide. Il était une fois… sur la grande montagne. Revue du Gévaudan 1971. L’auteur écrit, p. 22 : « Etant donné l’admirable position du site, l’ensoleillement, la protection naturelle des vents d’Ouest et du Nord, toujours froids, la proximité de la source, je crois plutôt qu’il s’agit d’un habitat permanent. « Article paru après l’achèvement de nos recherches.

(3) Autorisation de fouille: FA n° 1295. Fouilles effectuées au cours de l’été 1972.

(4) C. Hugues et M. Lorblanchet. Stations préhistoriques de la Can de l’Hospitalet et du Causse Méjan (Lozère) .Cong. Préh. de France, 1969 p. 235.

(5) N. Bastide. Ouvrage cité. Il utilise l’expression évocatrice de « chaine de cupules ».

(6) M. Lorblanchet. Géographie préhistorique, protohistorique et galloromaine des Cévennes Méridionales et de leurs abords. D.E.S. 1967.

(7) J. Salles. Les gravures rupestres cévenoles de l’arrière-pays alèsien. Bull. Soc. Etudes des Sc. Naturelles de Nimes. Tome LI -1971.

(8) R. Guiraud. Nouvelles gravures et cupules dans le Massif Caroux-Espinouse-Saumail. Cahiers Ligures de Préh. et d’Arch. n° 19, 1970 p39.

(9) M. Lapierre et P. Marcelin. Revue du Club Cévenol, Causses et Cévennes. 1947. Tome VII n° 1, p 229.
M-C. de Marnhac et A. Vernhet. Gravures rupestres des Coudénasses, commune de Palhers (Lozère). Revue du Gévaudan 1967, p;16. G. Isetti. Corpus delle incisioni lineari di Val Meraviglie. Rivista
di Studi Liguri. Anno XXXI, numeri 1-2, p 45. G. Isetti. Nota sulle incisioni dell’Arma della Moretta (Finale Ligure). Rivista di Studi Liguri. Anno XXXI, nUmeri 1-2, p. 111.

(10) Depuis 1967 ces tumulus ont été victimes de piochages anarchiques.

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