Le hameau de l’Hospitalet donne son nom à toute la can… c’est dire l’importance historique et symbolique de ce lieu-dit. Aujourd’hui s’y trouvent une ferme et une auberge aux apparences modestes, mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Dès l’époque préhistorique : une importante croisée de chemins
A ma connaissance, on n’a pas à ce jour d’information (écrits, traces archéologiques directes) attestant de la présence de bâtiments sur le site avant le milieu du moyen-âge. Ce dont on est par contre certains, c’est que dès l’apparition de l’homme en hautes-Cévennes, des voies de communication importantes s’y sont croisées, selon deux directions principales.
Sur l’axe sud-est / nord-ouest, en provenance de la région nîmoise par l’actuelle Saint Jean du Gard et en direction de Florac puis l’Aubrac, la route que l’on appelle aujourd’hui la corniche des Cévennes n’est que la descendante d’un ensemble de chemins aux fonctions diverses, dont certains sont très anciens : peut-être un itinéraire de migration animale (impossible à dater ni même à confirmer actuellement), certainement une draille depuis au moins 4000 ans, puis la route des Gabales (2500 ans), voie reliant les plusieurs populations gauloises entre l’Auvergne et la région nîmoise, des chemins muletiers, un chemin de croisades (peu après l’an mil) reliant Aubrac à Saint Gilles sur le petit Rhône…
Suivant l’axe sud-nord, en provenance des basses Cévennes par l’Aigoual, arrivait à l’Hospitalet une autre voie ancienne, probablement elle aussi calquée sur un itinéraire de migration animale puis de transhumance : la « draille de Margeride« . Plus tard, elle a été doublée d’un itinéraire muletier puis charretier, appelé Chemin de Valleraugue.
Une borne marquée de ce nom a été réutilisée dans l’angle d’un des murs de la ferme actuelle, témoin de l’activité de la route qui passait à proximité.
Bref, il en est passé du monde à l’Hospitalet depuis que l’homme est Homme.
Au moyen-âge : un « complexe pour voyageurs »
L’importance du passage animal et humain, la position stratégique du lieu, ont naturellement entraîné l’installation à l’Hospitalet d’un lieu d’accueil et d’aide aux voyageurs dont on trouve les traces dans la littérature depuis le XIIIème siècle (mais il existait très probablement bien avant cette date). Les documents anciens désignaient cette structure sous le nom de « Hôpital de la fage obscure ». On n’en sait pas grand-chose, mais on peut la supposer tenue par un ordre templier, en lien avec le château de Terre Rouge qui se dressait à environ 3 km de là vers le nord. Cette structure d’accueil a probablement joué un rôle de relais important sur le Chemin de Saint Gilles, route de pèlerins et de croisés à destination de la Terre Sainte, pendant et après les croisades. A priori, il ne reste plus aucune trace de cet ensemble de bâtiments, et l’on n’a pas d’indications précises sur leur taille, forme et organisation.
Une petite chapelle, appelée « Chapelle de la fage obscure« , dont on peut encore voir des traces dans le paysage.
Le nom de ces établissements est intéressant : fage signifiant « hêtre » en bon français, ou « fayard » dans le langage plus rural du sud, on peut supposer qu’à l’époque une épaisse forêt de hêtres existait ici… Il en existe d’ailleurs toujours pas mal, disséminés dans les chaos rocheux qui entourent le site. Mais l’essentiel des boisements est maintenant composé de résineux plantés récemment, sombres, acides et stériles. Rendement, quand tu nous tiens !
C’est à la même époque qu’un voyageur enterre des pièces sous le dallage de la grotte de Baumoleïro, non loin de l’Hospitalet.
XVIème et XVIIème siècle : un important domaine agricole
La ferme de l’Hospitalet a été pendant 2 ou 3 siècles la propriété des seigneurs de Salgas. De 1658 à 1700, les fermiers de l’Hospitalet s’appellent les Romejon, les Boudon et les Pascal. C’était alors un domaine important, formé de terres à blé et de pâturages.
Au début du XVIIIème siècle, au moment ou le commerce muletier, puis le roulage, se développent, les fermiers de l’Hospitalet différencient leurs activités, et deviennent aussi « hôtes », ou aubergistes. La vie de la ferme sera dorénavant liée non seulement à la culture mais aussi au commerce et à la transhumance (Robert Poujol, cec 1978 n°2, p. 459).
XVIIIème siècle : un lieu fort de la résistance protestante
Dans les sombres années du « désert » (1685 – 1787), la can de l’Hospitalet a accueilli de nombreuses assemblées protestantes. La plus vivace dans les souvenirs s’est réunie en septembre 1689 autour de Claude Brousson et François Vivent (une stèle commémorative de l’événement a été apposée sur un rocher situé à l’est de la ferme). Le lieu exact de ces assemblées est rarement connu, mais dans le souvenir des protestants, à n’en pas douter plusieurs des plus importantes eurent exactement lieu là, dans les rochers ruiniformes proches de la ferme actuelle. Détail curieux : de 1693 à 1695, l’auberge de l’Hospitalet, tenue par Jean Boudon, a accueilli des missionnaires qui avaient pour mission de rayonnaient vers Vébron, Saint Laurent et le Pompidou pour y raviver la foi catholique !
En octobre 1702, pendant la guerre des camisards, le prophète Abraham Mazel y fit un court passage (une heure !) alors qu’il est perdu dans le noir, mais il est obligé de fuir car il apprend que le valet de la maison est parti donner l’alerte.
De 1703 à 1716, le baron de Salgas, propriétaire de l’Hospitalet, est envoyé aux galères pour avoir « favorisé les fanatiques attroupés… assité à leurs assemblées… ouï et loué leurs sermons… rafraîchi leurs chefs… su et approuvé leurs entreprises et avoir eu part au massacre de Fraissinet de Fourques ». Le baron de Salgas avait été compromis par le chef camisard Castanet qui vint le trouver dans son château à la tête de 80 hommes armés pour le contraindre à assister à une assemblée à Vébron.
Les bâtiments actuels datent de la fin de ce siècle : 1773 pour l’un, 1780 pour l’autre. (gha, p. 28) Ils ont remplacé un établissement beaucoup plus ancien, qui d’après Raymond Oursel, accueillit l’assemblée de 1689… Voilà une affirmation iconoclaste incompatible avec celle d’une assemblée au milieu des rochers ruiniformes…
XIXème siècle : retour à la terre
Au début du XIXème siècle, avec la fin des conflits religieux, l’Hospitalet cesse d’être un lieu de rassemblement protestant.
Vers la fin du siècle (1884), la route impériale n°7 (future Corniche des Cévennes) sera abandonnée au profit d’un autre itinéraire ouvert dans la vallée borgne. La circulation diminuera fortement à l’Hospitalet, le hameau retrouvera pour un temps sa place à l’écart du monde. En 1828, l’Hospitalet n’est réduit qu’à une maison et une vaste grange (témoignage d’Adolphe de Chesnel, dlc, p. 102).
Pourtant, l’Hospitalet est un lieu prospère du point de vue agricole : peu après 1800, la famille Alcais, originaire de Montagut, achète le domaine de l’Hospitalet. La terre et l’auberge rapportent bien, et les Alcais font partie des riches de la commune de Vébron. En 1841, la maisonnée, domestiques compris, est de 18 personnes. Jules Alcais devient maire de Vébron à 80 ans.
En 1813, le préfet Gamot en visite signale qu’un cabaret a été ouvert quelques temps à l’Hospitalet mais a été fermé pour cause de querelle entre le fermier qui le tenait et les commis de droit réunis. Quelques frênes et hêtres poussent autour des bâtiments.
En 1879, 5 personnes vivent à l’Hospitalet. En 1884, l’abandon de la corniche des Cévennes au profit de la nouvelle N 107 (par le tunnel du Marquaïrès) met l’Hospitalet à l’écart des passages importants.
XXème siècle : Retour à la route
Au XXème siècle, avec la réouverture de la corniche des Cévennes (1930), l’Hospitalet s’est soudainement retrouvé sur un lieu de passage à nouveau très fréquenté. Une auberge et un gîte sont venus s’ajouter à la ferme du XIXème.
Aujourd’hui, le site de l’Hospitalet reste très fortement attaché à la tradition de résistance protestante. Des rassemblements de commémoration sont organisés sur les lieux supposés de l’assemblée de 1689. La première d’entre elles date probablement du dimanche 7 août 1898. ce jour là un grand rassemblement de 1500 protestants autour de 21 pasteurs est organisé pour le tricentenaire de l’Edit de Nantes. Puis, d’années en années, la tradition se perpétua finalement, et perdure aujourd’hui.
Des années 20-30 à aujourd’hui, le programme n’a guère changé : culte le matin, pique nique en plein air, des conférences l’après-midi. On vient pour célébrer une foi et une histoire commune, pour se retrouver et, comme le précisait en 1997 l’historien J. Poujol, pour chanter ensemble la Cévenole. (pet, p.58)