Entre la ferme des crottes et la ferme de la Bastide s’étend une vaste prairie d’un vert intense, couleur rare sur la can. C’est la plaine des crottes.
Cette étendue peut sembler uniforme à celui qui passe devant l’esprit ailleurs. Une observation attentive permet pourtant de constater qu’elle est parcourue de chenaux peu profonds, sortes de lits de rivières à sec qui serpentent au gré des faibles ondulations du terrain. Lors des grosses pluies d’automne, les eaux s’y concentrent en ruisseaux qui acheminent l’eau vers une grosse doline située non loin de la route, dans laquelle elles disparaissent purement et simplement. Cette particularité donne à la doline le droit de recevoir l’appellation poétique de « ponor ».
Lors des pluies les plus fortes, (les fameux épisodes cévenols) la doline ne suffit plus à boire l’eau qui arrive de toutes parts en torrents furieux. L’eau refoule peu à peu, le niveau monte jusqu’à envahir totalement l’ouverture. Il se forme alors une mare temporaire qui occupe d’abord la surface de la doline puis peut prendre de l’ampleur jusqu’à recouvrir la totalité de la prairie. Selon la pluviosité, le degré de saturation du sol, une telle mare peut se maintenir quelques heures ou quelques semaines.
Mais l’eau finit toujours par être absorbée. On le sait, elle effectue un parcours souterrain d’environ 1 km pour ressortir à la grotte de Tartabisac n°1.
Après la décrue, le niveau de l’eau la plus haute est mis en évidence par une sorte de « laisse de mer », cette ligne d’algues et de varech laissée sur la plage à marée descendante sur les placés bretonnes.
La doline des Crottes m’intrigue, et m’intéresse particulièrement. Les volumes d’eau qu’elle absorbe indiquent sans aucun doute qu’il y a là-dessous un tuyau d’un bon diamètre, qui selon toute logique devrait un de ces jours devenir suffisamment large pour pouvoir être exploré, comme l’aven de Montgros distant de quelques centaines de mètres. Alors lorsque je passe à proximité (ce qui arrive assez souvent), je ne manque jamais de faire à la doline des crottes une petite visite de courtoisie pour voir comment les choses évoluent.
Invariablement, à la vue de la dépression mon cœur s’emballe : et si c’était pour cette fois ci ? Si le dernier orage avait enfin emporté le morceau et desobstrué la doline dans au terme d’une lutte acharnée entre les eaux et la terre. Et si, me penchant sur l’escarpement, je découvrais enfin un trou sombre et béant s’ouvrant sur l’inconnu ? Une cavité nouvelle, dans laquelle je serai le premier à descendre pour y découvrir mille merveilles !
Las, pendant des années, la doline n’a guère évolué. Toujours les mêmes pentes herbeuses régulières, le même ultime entonnoir terreux indiquant une érosion un peu plus marquée au centre, et parfois un orifice de quelques centimètres de diamètre foré dans la terre fraîche mais qui semblait bouché après quelques centimètres. Cette absence d’évolution défiait le bon sens ! Un jour, en remuant des pierres au fond, histoire d’accélérer un peu l’érosion naturelle, j’ai compris ce mystère : au milieu des blocs de calcaire, des fragments de schiste, impossibilité géologique, indiquaient clairement une intervention humaine : sans doute les propriétaires du terrain y déposent régulièrement des pierres de toutes provenances pour en ralentir la trop rapide extension.
Je les comprends bien, allez : voir tout son terrain aspiré dans une doline comme une planète dans un trou noir, c’est déprimant. Mais je le sais, un jour, l’eau gagnera sur l’homme, l’eau gagnera sur la pierre, et le passage s’ouvrira ! Alors, je continue à suivre l’évolution de l’ouverture de la doline, et croyez-moi, aujourd’hui, je peux vous dire qu’il y a des signes : ça ne tardera plus !