Merci à Philippe Chambon pour les précisions qu’il a apportées à cet article.
Jusqu’au milieu du XXème siècle, les villages situés à la périphérie des causses utilisaient les plateaux de manière beaucoup plus « intensive » qu’aujourd’hui. A chaque hameau d’habitation, situé dans le fond de la vallée, correspondait un hameau d’estive, situé à peu près au dessus, sur le rebord du plateau. Ces hameau d’estive était constitué d’une ou plusieurs « jasses » ou « jalses », sortes de bâtiments à tout faire, mi-bergerie mi-lieu de stockage de foins, mi lieu d’habitation temporaire.
Dès que la belle saison s’annonçait, les hameaux d’altitude se mettaient à vivre. Des gens montaient s’y installer pour être à pied d’oeuvre de tout ce qu’il y avait à faire là-haut : semer et récolter les céréales, gérer les petits troupeaux (brebis, vaches, etc…) de production autarcique, traire les bêtes et faire un peu de fromage. De ce fait, s’organisait entre les hameaux de vallée et d’estive un trafic régulier pour monter des matériaux de construction, de la nourriture… et redescendre certaines denrées produites. Chaque hameau était dôté de son propre chemin pour rejoindre l’estive au plus direct. On appelle parfois ces itinéraires les « chemins de la farine » car ils servaient aussi à descendre le blé produit sur le plateau vers les moulins à eau situés en fonds de vallée (comme le Moulin de Grattegals, encore actif aujourd’hui) et à remonter la farine était pour alimenter les habitants du causse.
Ces chemins de la farine constituent de formidables réalisations techniques pour les populations peu outillées qui les ont réalisés. Depuis les hameaux inférieurs sont généralement situés vers 600 mètres d’altitude, ils commencent par monter de manière relativement aisée vers le « Ressès » (ce replat qui court à mi-pente du causse Méjean et de la can de l’Hospitalet au dessus de la vallée du Tarnon). A partir de là, les choses se corsent car la pente augmente considérablement et laisse bientôt place à une « couronne », falaise de dolomie plus ou moins continue. Les chemins de la farine se transforment alors en chemins suspendus aux innombrables virages pour réussir à franchir l’obstacle en se faufilant entre les énormes tours calcaire.
Certains de ces itinéraires sont restés « muletiers », mais la plupart ont été aménagés de manière à permettre le passage de charrettes. Ils sont alors larges et très soignés dans leur facture, entièrement « caladés » (leur surface est constituée de pierres à champ les unes contre les autres). Un travail colossal, qui n’a probablement pu se réaliser qu’étalé sur un grand nombre de générations.
Dans la vallée du Tarnon, les chemins de la farine sont très nombreux côté Causse Méjean. Entre Florac et le col du Perjuret on en trouve à Croupillac, au Mazel, à Vernagues, à Salgas, à Racoules, à Vébron-la Labrède, aux Vanels et à Fraissinet de Fourques. 8 en 16 km, un tous les deux km en moyenne !
Côté Can de l’Hospitalet, la situation est légèrement différente : de nombreux chemins montent à l’assaut du plateau, mais il est relativement rare de trouver des hameaux d’estives à leurs sommets. Cette différence repose, d’après-moi, sur deux raisons.
Tout d’abord, côté can les hameaux inférieurs sont directement installés sur le ressès, vers 800 mètres d’altitude, alors que les hameaux du pied du Méjean sont installés largement sous le ressès, vers 700 mètres d’altitude. Le plateau lui-même est aux alentours de 1000 mètres, contre 1050 voire 1100 pour le causse. La dénivelée résultante n’est que de 200 mètres environ, contre parfois 400 côté causse. Il était donc plus facile de redescendre dormir au hameau plutôt que rester là-haut.
Et puis il y a le fait que beaucoup de hameaux côté can avaient une population plus faible. Quelques petites dizaines d’habitants contre parfois une centaine ou plus « en face ».
Citons tout de même quelques beaux itinéraires pour monter sur la can : le chemin de la Rouvière à la can de Tardonnenche, la « voie royale » constituée par l’ancienne Draille de Margeride, de Tardonnenche au col de vache, la montée d’Artigues, la montée vers le Col de Solpérière par le hameau de Broussous, celle de Rousses vers Peyrebesse. Côté vallée Borgne, le splendide chemin de bassurels à la ferme des Crottes. En vallée française, la mntée du Crouzet à Bézuc. Côté Mimente enfin, la montée de Ventajols. Autant de super balades à faire, durant lesquelles on passe d’un fond de vallée encaissé à des horizons illimités.
Je pense que l’appellation « chemin de la farine » vient du fait que ces pistes étaient utilisées par les caussenards pour atteindre les moulins à eau établis sur les différentes rivières encerclant les causses. Ces itinéraires servaient donc non pas à descendre, mais à remonter la farine vers les plateaux. En effet, avant le 17° siècle et la construction de plusieurs moulins à vent sur les plateaux, les caussenards n’avaient d’autre solution pour obtenir de la farine que de descendre leurs grains dans les vallées. La mouture était soumise au « ban », péage collecté par les meuniers pour le compte des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques, détenteurs des droits féodaux sur les ponts, les fours à pain et les moulins à eau. Avec la tombée en désuétude de ces redevances vers les années 1620, qui libéralisait la profession, quelques meuniers ont installé sur les causses des moulins à vent, équipements jusqu’alors très rares dans nos contrées. Ces moulins ont fonctionné jusqu’au milieu du 19° siècle.
Il faut noter que la quasi totalité de ces « chemins de la farine » aboutissent dans les vallées et les gorges à des hameaux équipés d’un moulin. Par exemple, pour la seule vallée de la Jontanelle, en amont de Meyrueis, on trouve un chemin de la baraque de Perjuret au moulin de Plambel, un de Galy et l’Hom au moulin du Mas-Pradès, un d’Aures et un autre de Frépestel et La Citerne à Salvinsac et enfin une piste de Pauparelle au Moulin d’Ayres.
idem pour les gorges de la Jonte où les moulins de Capelan, Sourguettes, Les Douzes et le Maynial étaient reliés aux Causses Méjean et Noir par des itinéraires bien visibles de nos jours.
A ma connaissance, la seule mention ancienne (17° siècle) d’un » cami farinier » se trouve dans un compois de la paroisse de St Chély du Tarn désignant la piste muletière qui relie le village de Cabrunas (Causse de Sauveterre) au moulin de Pougnadoires dans les gorges du Tarn.