« Une société libre est une société indisciplinée. Rappelons-nous où nous a parfois conduit l’obéissance. »
Le silence est absolu dans la clairière. 200 personnes sont rassemblée dans l’ombre des hêtres, au milieu des rochers ruiniformes de l’Hospitalet. La foule massée au sommet des rochers ou au fond des trous ressemble à une mer houleuse. Les rayons du soleil implacable de juillet percent la couverture de feuilles et projettent ça et là des tâches de lumière intense. Quelque part au centre de cette tempête immobile quelques personnes sont assises côte à côte, et prennent la parole les uns après les autres. Longuement et tranquillement. En cet instant présent c’est François Roux qui parle. Avocat, protestant, fervent partisan des méthodes non violentes de résolution des conflits, et originaire des environs. Tout ce qu’il faut pour être écouté en ces lieux et ces circonstances. Et de fait, chacun médite en silence les phrases percutantes, et sans doute dérangeantes pour beaucoup d’entre nous, qu’il vient de prononcer.
Le matin même, à ce même endroit, un autel rustique était dressé sur deux tréteaux, et un culte protestant a été célébré, comme chaque année depuis des décennies, en commémoration des assemblées du désert qui ont été célébrées sur la can de l’Hospitalet dans les années de l’oppression, peut-être parfois en ce lieu précis, comme le prétend la tradition.
C’est la première fois que j’y viens, et beaucoup de choses me surprennent, tellement différentes de tout ce que je pouvais observer durant les messes catholiques de ma jeunesse.
Les personnes qui assistent à l’assemblée ne sont pas toutes tournées vers l’autel. Chacun pose son fauteuil comme il peut. Sur un rocher, quatre grand-pères sont assis presque dos à dos, face à quatre directions différentes. Ce qui constituerait sans doute un outrage à prêtre dans une église est ici la chose la plus naturelle du monde. Quel besoin de se tourner vers celui qui parle, quand le travail de réflexion est à faire par chacun en son for intérieur, presque seul avec soi-même. Il y a quelque chose qui me semble particulièrement sincère dans cette manière de recevoir une parole. Je crois presque entendre chacun penser « Voyons, dans ce que j’entends, qu’est-ce qui me concerne tout particulièrement ? ».
Pour ma part, j’écoute le culte d’une oreille lointaine. Je ne suis pas croyant, mais je reçois avec force l’ambiance recueillie qui règne sur la clairière, et je ne peux m’empêcher d’observer intensément tous ces gens. Il y a des bébés, des enfants, des jeunes, des adultes et des vieux, mais il me semble bien que la génération des 20 – 35 ans n’est pas là. Ou sont-ils ?
A quelques pas de moi, je reconnais un bab ex taulard. Sa chemise violette à fleurs brille dans un rayon de soleil tombé de la voute de feuilles. S’est-il converti en prison, est-il juste attiré par le thème de l’après-midi (la prison, justement), ou a-t-il d’autres sortes de motivations pour se trouver ici ? Toujours est-il qu’il reste debout, immobile et attentif toute la journée, tourné vers l’autel.
A la fin de l’après-midi, comme le veut la tradition, l’assemblée entame « La cévenole », chant emblématique de l’esprit cévenol. A ma grande surprise, l’ambiance est bon enfant : la plupart des participants l’entonnent sur un ton léger, presque rigolard, qui tranche avec la grande émotion habituelle des hymnes de tous poils. Au bout de 4 couplets l’organiste s’arrête et demande au peuple : « Vous en voulez encore ? », l’air de dire « On va quand même pas se taper tous les couplets ! » Au fond de la clairière un homme à la voix grave et puissante répond « Allons directement au dernier couplet ! », et il cite les parole à haute voix pour que tout le monde s’y retrouve, comme dans un karaoké version protestante. L’assemblée reprend et termine en chœur. A la fin du couplet, tout le monde se dit au revoir en se dispersant sans autre forme de cérémonie, en toute simplicité.
Pendant la journée, je me suis souvent demandé s’il y a avait beaucoup d’observateurs extérieurs comme moi dans l’assemblée, si les habitués nous avaient détectés, et si notre présence les avait gênés. J’ai rapidement une partie des réponses à mes questions : sur le chemin du retour, je passe à proximité du Pasteur qui nous interpelle avec bienveillance : « Bonjour, vous êtes qui, vous ? ».
Plus tard, une autre participante me demande pourquoi je n’étais encore jamais venu, moi qui ne vis qu’à quelques kilomètres d’ici. Je ne sais trop quoi répondre. Je ne suis pas croyant, mais la culture protestante m’intéresse particulièrement, et les protestants cévenols sont des gens que je crois apprécier particulièrement. Après des années de vie ici, je commence à me sentir à l’aise dans cette culture. j’y ressens une grande ouverture d’esprit, une capacité à ne pas (trop) juger son prochain, même s’il est différent. Je pense à tous les amis que j’ai en Cévennes, et je me dis que ce serait bien qu’ils connaissent ça.
J’ai envie de revenir l’an prochain.