En 1982, Guilhem Fabre et Yves Maurin, deux hydrogéologues s’intéressant aux circulations d’eau souterraines de la can de l’Hospitalet, cherchent à comprendre où donc peut bien passer toute la flotte qui s’engouffre dans l’Aven de Montgros lorsqu’il pleut. Pour résoudre ce genre d’énigme, il existe une procédure simple et éprouvée : le « traçage ». A l’eau qui part pour son voyage souterrain on ajoute un produit facile à détecter, soit un traceur radioactif, soit tout simplement un colorant. La suite est facile à deviner : il suffit de surveiller les sources alentour, soit avec un appareil à mesure la radiactivité, soit juste avec ses yeux : là où apparaît la couleur attendue, là vont les eaux voyageuses.
Un premier traçage est effectué le 1er mars 1982. Nos deux compères injectent dans l’aven un produit coloré extrêmement concentré appelé fluorescéïne. Quelques heures plus tard, voilà que les eaux qui sortent de la grotte de Baume dolente, à 835 m d’altitude dans la vallée du Tarnon, se parent des couleurs attendues. Ce résultat ne surprend guère Guilhem et Yves : dans le coin on se raconte depuis longtemps une vieille histoire. L’aven de Montgros aurait jadis été aménagé en lavogne, dont le fond aurait cédé à la fin du XIXème siècle à l’occasion d’un orage fabuleux. Les eaux se seraient engouffrées dans les profondeurs et auraient jailli si fort de Baume Dolente que le bruit s’en serait entendu jusqu’à Montagut. L’affaire est donc entendue : les eaux qui pénètrent dans l’aven de Montgros sortent en versant Atlantique.
25 avril 1982 : il a beaucoup plu ces derniers jours. Nos deux compères effectuent un second traçage dans l’aven de Montgros. Pourquoi ? Je ne sais pas. Soupçonnent-ils quelque chose ? Veulent ils avoir des résultats dans des conditions hydrologiques différentes ? Quelques heures plus tard, de l’eau colorée sort à Baume Dolente, comme la fois précédente. Mais surprise : bientôt il en apparait aussi à la grotte de Tartabisac, dans la vallée Française, au dessus du Gardon. C’est à 3 km de Baume Dolente, à l’opposé exact par rapport à l’aven. Tartabisac est située à 875 mètres d’altitude, 40 mètres de plus que Baume Dolente. Mais surtout, Tartabisac est située sur le versant méditerranéen de la can. Découverte singulière.
Voilà l’explication avancée : sous le plateau il existe un réseau de conduits souterrains reliant les deux grottes. Ces galeries présentent une pente descendante de Tartabisac à Baume Dolente. L’aven de Montgros est situé sur le parcours de ces galeries. Lorsque les pluies sont faibles, l’eau qui y entre coule sans entrave dans le sens naturel de la pente, vers Baume Dolente. Mais en cas de fort débit, les galeries se saturent et n’arrivent plus à évacuer. Le niveau des eaux souterraines monte progressivement jusqu’à refluer dans la direction opposée pour finalement sortir de l’autre côté.
Une même goutte de pluie peut donc connaître un destin absolument, radicalement différent selon les conditions météo… Il y a de quoi faire rêver ! Les gens du coin ne s’en sont d’ailleurs pas privés. Dans les années 50, le docteur Gajac a entendu raconter une drôle d’histoire. Un berger de la can aurait remarqué que les eaux de Montgros sortaient à Baume Dolente. Peut-être avait-il entendu raconter l’histoire de la lavogne détruite par l’orage ? Il décide d’utiliser cette particularité pour faire un peu de profit au détriment de ses patrons, les propriétaires du troupeau qu’il garde sur le plateau. Un jour de pluie il balance une brebis dans l’aven. La pauvre bête est emportée par les eaux et ressort comme il se doit à Baume Dolente. La femme du berger, postée là, le récupère et ils en font bombance. Le patron ne peut guère râler, une bête qui tombe dans un trou, c’est le destin !
Difficile d’accorder du crédit à cette histoire. D’abord parce qu’au fond de l’aven de Montgros il n’y a pas à proprement parler des galeries : l’eau circule dans des « trémies », sortes d’accumulations de pierres qui laissent un passage suffisant pour un liquide mais pas pour une brebis ! Et puis, parce que ce schéma d’histoire est ultra classique et bien connu : partout là où il y a des avens et des sources elle se raconte : à Florac avec la source du pêcher, à Sainte-énimie avec la source du Burle, à Castelbouc… ah, les gens manquent d’imagination, c’est dingue. Avec cette configuration à deux sorties il aurait été possible de faire mieux. Tiens, le berger aurait eu une une amante dans chaque vallée. Selon la force des orages, il aurait pu lui envoyer des présents à l’une ou à l’autre sans que son patron ni sa femme ne se doutent de rien, trop fort !
Comme tous les spéléologues, je rêve de trouver un jour le passage qui, de Baume Dolente à Tartabisac, traverserait l’intégralité de la can en passant sous Montgros…