Un jour, mon spéléologue de voisin Bertrand me prête un topo des cavernes lozériennes. J’adore feuilleter ce genre d’ouvrages compilant d’interminables successions de profils d’avens et de grottes qui se ressemblent tous et dans lesquels je n’irai jamais (mais ça n’est pas grave, je rêve beaucoup, c’est déjà ça). La majorité de l’ouvrage était bien sûr consacrée aux sites majeurs du département, les causses Méjean et de Sauveterre, riches en cavités de grande ampleur. Un pôvre petit chapitrounet abordait tout de même les tristes ressources cavernicoles de la petite can de l’hospitalet, décrivant seulement 2 cavités : l’aven de Montgros, et… Tartabisac 1. Le « 1 », délicieux et inattendu suffixe, suggérait sans l’expliciter qu’il existait évidemment quelque part un « Tartabisac 2 », et peut-être même, qui sait, des Tartabissac 3, 4 et 5, mais l’ouvrage n’en disait pas plus.
Une projection horizontale de la cavité révélait un réseau assez important pour la can (plusieurs kilomètres) en précisant que ces galeries n’étaient accessibles que par temps très sec car un siphon barrait l’entrée. Il n’en fallait pas plus pour enflammer mon imagination et me décider sur le champ : la prochaine balade familiale du dimanche pousserait par là-bas.
C’était au printemps, la route du Pompidou au Masbonnet était somptueuse de vert et de fleurs de toutes couleurs. Nous avons posé la voiture à l’entrée de la piste herbeuse menant au petit col visible à quelques centaines de mètres. Ce col marque précisément la limite entre le calcaire, au nord, dans lequel est taillée une falaise courte sur patte au pied de laquelle j’imagine l’entrée de la caverne, et le schiste, au sud, que sa meilleure résistance à l’érosion a érigé en une crête acérée culminant en un étroit sommet recouvert de genets encore noirs d’un récent écobuage.
Au pied de ce sommet, une bergerie isolée est posée, tranquille. Des chèvres dispersées dans la végétation font leurs petites affaires sans s’occuper de nous.
Avec mon petit garçon, je m’élance à l’assaut de la pente calcaire d’en face. Les filles préfèrent cueillir d’énormes bouquets de fleurs. C’est comme ça la vie. La pente est raisonnablement raide, mais comme souvent sur calcaire il n’y a que très peu de végétation, le sol est constitué d’éclats rocheux de toutes tailles qui rendent la progression fastidieuse et je dois porter Nils à plusieurs reprises. Nous voici au pied de la barre rocheuse qui doit logiquement abriter l’entrée de la cavité. Nous la longeons vers la gauche. Il faut sans cesse faire des détours pour se frayer un passage au travers des buis qui se sont soudainement épaissis. Une légère trace au sol témoigne cependant d’un passage, humain ou animal ? Nous nous laissons guider et bientôt la falaise semble s’infléchir et prendre la forme d’un petit porche. Une dernière descente et nous y voilà, c’est bien la fameuse « Tartabisac 1 », il n’y a pas de doute. Une sorte de petite mare transparente de 4 à 5 mètres de long est abritée par l’avancée rocheuse et pénètre à l’intérieur de la montagne. Je me penche et aperçois, dans la pénombre, une galerie qui part vers la gauche. Si mes souvenirs sont exacts, le topo signalait que cette galerie n’était qu’un appendice secondaire le la cavité, l’accès au réseau se faisant par un siphon que je ne vois pas.
L’eau m’empêche d’approcher pour mieux voir. J’enlève le bas et me voilà en slip, prêt à tenter l’aventure. Écartant les jambes au maximum, je pose un pied sur chaque paroi et commence à avancer dans une position inconfortable, à la limite de l’écartèlement. Suspendu au dessus de l’eau glacée, j’approche ainsi tout doucement de la galerie à la gueule noire. Enfin je peux y jeter un regard grâce à ma frontale que je tiens à bout de bras. Une fois mes yeux habitués à l’obscurité, je constate que la galerie trace en ligne droite sur 5 à 6 mètres puis tourne brusquement à angle droit vers la droite. Elle est tapissée d’argile relativement sèche, il ne devrait pas être trop inconfortable de s’y glisser.
Je me prépare à l’audacieuse manœuvre qui consistera à passer progressivement de ma position en équilibre instable à une position allongée sur le replat argileux, lorsque tout à coup je crois percevoir, au fond de la galerie, un mouvement furtif. Interloqué j’arrête mes contorsions et porte toute mon attention cet endroit. Pas de toute, il y a là une forme sombre qui remue. J’aperçois même deux yeux qui brillent dans le noir et me dévisagent fixement. Vite, ma frontale. Je donne la lumière et vois apparaître une face animale qui me parait agressive. Qu’est-ce que cela peut bien être ? Un blaireau ? En tout cas c’est gros, et je ne suis pas rassuré !
La bête s’agite de plus en plus et brutalement, elle fonce vers moi. La surprise et la peur me font reculer violemment en arrière, mes pieds glissent des parois et par je ne sais quel miracle, je me retrouve debout dans 1 m d’eau glacée, tandis que le bruit sourd d’une course m’apprend que l’animal, quel qu’il soit, rapplique au pas de course. Il surgit brutalement de l’orifice, plonge au beau milieu de la mare, suivi d’une queue épaisse et puissante qui bat l’air puis rame vigoureusement, faisant presque instantanément disparaître le castor, car c’en est un, dans le fameux siphon que je cherchais depuis tout à l’heure. Voici une réponse tout à fait claire à deux questions !
Je reste là, planté dans l’eau, le cœur battant, craignant un retour vengeur de l’animal… Ah ça, pas de doute, c’est bien, Tartabisac 1 !
Une fois remis de mes émotions, en fouillant un peu les abords de la caverne, je trouve rapidement de nombreux indices qui confirment qu’il s’agit bien d’un castor : des traces de pattes, et surtout beaucoup de copeaux. Le castor est fréquent dans la région, mais ce qu’il y a de bizarre, c’est qu’il vit en principe dans le fond des vallées. Qu’est il venu faire à Tartabisac 1, à au moins 250 mètres de dénivelée au dessus de la plus proche rivière digne de ce nom ? De la spéléo ?
Des naturalistes locaux apprenant l’histoire nous ont dit qu’un castor mort avait été trouvé sur la can, à peu près au dessus de la grotte, et qu’ils ne comprenaient pas comment il avait pu arriver si loin d’une rivière. Il avait probablement pris pension à Tartabisac 1, comme celui que j’ai vu cette fois-ci, soit parce que les rivières étaient trop peuplées, soit en période de grand étiage ? Qui sait ?
Je suis revenu souvent à Tartabisac 1 dans l’espoir de revoir mon castor. Il ne s’est plus jamais montré.
Pour des informations un peu plus « sérieuses » sur la grotte de tartabisac 1, c’est ici.