Lorsqu’on observe la Terre depuis la Lune, par une nuit sans nuages, on aperçoit une immense masse continentale hérissée de caps et de péninsules. C’est le vaste ensemble afro-asiato-européen. Difficile d’y distinguer quelque chose de précis à cette distance, il faut se concentrer pour distinguer la France.
Mais si l’on se dote d’un objectif 2.830.000 mm, les choses s’éclaircissent, et en pointant la visée sur le sud-est de la France, les Cévennes deviennent visible. Avec un doubleur de focale en surajout, on arrive à distinguer au milieu des Cévennes un plateau tabulaire à la forme longiligne et biscornue. C’est la Can de l’Hospitalet.
Après, il faut prendre la navette hyperspatiale de 22h23 pour s’approcher un petit peu. Sur le rebord ouest de la Can de l’Hospitalet émerge du flou une sombre et austère forêt couvre un versant nord glacial, encore enneigé malgré le beau temps qui réchauffe la Lozère depuis quelques jours.
A mi-pente de cette forêt, au pied d’une barre rocheuse de faible hauteur, au creux d’un replat, s’ouvre un trou noir d’à peine 50 cm de diamètre. C’est la grotte des Farous. Un bien modeste trou, étonnamment mentionné sur la carte au 25.000ème du coin mais bien difficile à dénicher pour de vrai. Par moins de 3 explorations méthodiques du versant furent nécessaires à la famille Lemonnier et ses amis pour retrouver cette entrée oubliée. Cette difficulté fait une grande partie du charme de la chose, c’est pourquoi je ne vous en dirai pas plus, histoire que vous erriez vous aussi quelques jours dans la diagonale du coteau avant de trouver.
Cette entrée est si petite qu’un après-midi d’automne venteux, quelques vieilles branches étaient tombées sur l’ouverture, les feuilles mortes avaient fait le reste : Farous s’était transformé en un piège à gibier à l’indienne, autour duquel il a fallu tourner un bon moment avant de le déceler.
N’empêche, une fois l’étroiture passée, un toboggan de feuilles sur glaise mène plus vite que souhaité sur le sol horizontal d’une assez vaste salle tout à fait insoupçonnée de l’extérieur. Eboulis, ressauts, le fond est vite atteint, mais la cavité a de l’allure, et les enfants prennent toujours plaisir à y fureter à la rechercher de chauves-souris suspendues dans quelque recoin.
Tout ça fait de Farous la grotte des enfants ! Celle où l’on va les dimanche après-midi pluvieux, lorsque des amis nous rendent visite et qu’il faut se sortir un peu. C’est même parfois la grotte aux anniversaires, ou la grotte des grands jeux…
3 salles assez grandes se succèdent sur une pente descendante… la dernière est une demi-sphère presque parfaite, sèche, dans laquelle on se sent bien. Spontanément, on s’installe, on prend ses aises. Les lampes de poche sont éteintes au profit des bougies, et peu à peu le lieu gagne en chaleur…
Parfois le silence s’installe, chacun dans ses pensées ou ses explorations… Parfois des jeux inventés pour l’occasion se mettent spontanément en place… Un jour, une chorale s’est improvisée, et la salle a résonné de chants entonnés avec une attitude grave, comme si le moment était sacré…
L’observation des chauves-souris reste une valeur sûre. Les enfants sont très sensibles au bien être de ces animaux apparemment si fragiles… Après quelques minutes sous les feux des lampes de poches, certaines se mettent à agiter faiblement les ailes, alors tout le monde s’écrie : « Vite, éteignez, elle va se réveiller, et si elle se réveille elle va mourir ! », et la troupe s’égaille…
Malgré sa petite taille, la grotte recèle encore quelques mystères, quelques pistes à suivre : tout au fond, une galerie s’amorce. Des traces de fouille attestent que quelqu’un a un jour espéré trouver la suite, puis a abandonné l’idée. Trop long, trop seul ? Je ne sais pas pourquoi, chaque fois que je reviens, je fais un tour dans ce boyau inconfortable histoire de voir s’il ne se serait pas comme par magie ouvert un peu plus depuis la dernière fois…
Il se dit et s’écrit ici et là qu’il aurait été observé, dans un recoin de la grotte, une trace de main préhistorique… pour l’instant je ne l’ai pas trouvée, et pourtant on peut dire que j’en ai passé, du temps, dans ce trou. Mais je continue à chercher. Il se dit par contre, de manière avérée cette fois, que des tessons ont été trouvés, dans un recoin au pied du toboggan de l’entrée. Des hommes ont donc vécu (ou trépassé) ici quelque part aux environs de l’âge du fer ou avant…
Dans la salle d’entrée, perché à 2 mètres 50 de hauteur environ mais facile à atteindre, un petit diverticule part vers l’ouest. Oh, il court tout au plus sur 10 mètres, mais il ne se termine pas vraiment : il devient étroit, étroit… mais il continue… et semble même s’élargir à nouveau quelques après une courte distance… L’ouest, c’est la direction… de la grotte de Nozière, qui n’est qu’à 300 mètres de là et lance elle aussi une étroite galerie vers… l’est, c’est à dire vers ici ! Difficile de ne pas rêver à une jonction ! Pour en avoir le cœur net, j’ai mis au point une technique ré-vo-lu-tion-naire, que j’ai appelée APNABB. Amis spéléologues, retenez ce nom, il va faire le tour de l’univers. Il signifie : « Appareil Photo Numérique A Bout de Bras ». Le principe est simple :
- Allumez l’appareil, sortez le flash
- Attrapez votre appareil en veillant à pouvoir le tenir fermement ET appuyer sur le déclencheur d’UNE SEULE MAIN.
- Introduisez votre bras au plus profonde de l’étroiture que vous souhaitez prospecter
- Prenez tout plein de photos au jugé, dans toutes les directions possibles
- De retour chez vous, grâce à un logiciel spécialisé comme photoshop, jouez au puzzle avec toutes ces photos pour reconstituer l’endroit.
Voilà ce que donne la technique APNABB appliquée au fond du diverticule sans prétention de la grotte des Faroux. Voilà cette galerie qu’aucun œil humain n’a contemplé alors que mon modeste appareil l’a vue ! Oh, que tout ça m’excite !
Août 2007 : Raymond Lefillâtre a commencé à élargir le passage aux amorces. C’est encore trop étroit pour être pénétrable, mais le travail est lancé !
Mars 2010 : Guillaume Coerchon et un autre membre du TNT passent l’étroiture, sans même avoir besoin d’élargir. La galerie est colmatée au bout que quelques mètres par un éboulis qu’il serait peut-être possible d’ouvrir, mais l’étroitesse de la galerie rend les choses trop malpratiques pour donner envie de s’y éterniser… Si quelque courageux a l’énergie de s’y coller…
Finalement, dans cette petite grotte sans prétention, on y passe souvent une ou deux heures, qui fuient, comme ça, sans qu’on sache où elles sont passées…
Comme à la plage, vient un moment ou il faut ramasser ses affaires, tout remettre dans le panier, et entamer le retour vers la maison. Après la remontée dans les éboulis, après l’ultime escalade de la pente glissante, on sort la tête des feuilles et on constate étonnés que le jour a baissé. Les enfants sont sonnés, pleins d’un bonheur tranquille, et la remontée de la piste se fait dans un silence songeur.