Image d’en-tête : Barre des Cévennes, un des hauts-lieux de cette histoire
Le désert … n’est pas seulement un lieu, comme je l’ai longtemps cru, mais aussi une période. Ce terme désigne l’intervalle de temps qui va de 1685 (révocation de l’édit de Nantes, qui interdit aux protestants de pratiquer leur culte) à 1787 (édit de tolérance qui autorise à nouveau les protestants à pratiquer leur culte). Durant ces 100 années, les protestants ont été obligés de se cacher pour pratiquer leur culte… Et la can de l’Hospitalet a constitué un haut-lieu de cette aventure. Le terme de « désert » a été employé par référence au temps ou les hébreux traversaient le Sinaï. Les historiens du protestantisme ont pris l’habitude de distinguer deux périodes : le « désert héroïque », qui dure en gros de 1715 à 1760, durant lequel les assemblées furent traquées et les pasteurs, tombant aux mains de la troupe, condamnés à mort. La deuxième période commençant en 1760 et se terminant en 1787, étant celle d’une plus grande tolérance de fait, avant l’édit du même nom. Voyons tout cela plus en détail…
1685 : la révocation
En 1685, c’est la révocation de l’Edit de Nantes. Une nouvelle période sombre commence pour les protestants. Basville, ancien intendant du Poitou, arrive dans la région avec mission de la « nettoyer » des protestants. Après Nîmes, Montellier, Uzès, Anduze, Saint Jean du Gard, Sauve, Saint-Hippolyte et Ganges, il arrive le 12 octobre à Barre-des-Cévennes et le 15 à Florac. Les protestants prennent peur et se convertissent en masse au catholicisme. Entre le 1er octobre et le 14 novembre, 622 personnes de plus de 14 ans se convertissent à Vébron !
Les églises catholiques (dont celle de Saint-Laurent-de-Trèves) sont reconstruites ou… agrandies pour contenir tout le monde ! Mais en parallèle, les protestants s’organisent pour continuer à pratiquer leur culte ou du moins à faire vivre leur religion, en organisant des assemblées secrêtes, généralement dans des sites naturels discrets. Olivier Poujol a fait le point sur ce phénomène passionnant dans son livre « Les assemblées de la can de l’Hospitalet » (voir ach) sorti en 2022.
1689. Assemblée à Terre-Rouge, autour du prédicant Roman. Il sera arrêté la nuit suivante à Salgas, mais relâché peu après.
25 mai 1689 : assemblée sur la can, avec notamment David Quet, David Gazon, les frètes Plan. Aucun incident.
23 septembre 1689. C’est l’assemblée à l’Hospitalet avec Vivent et Brousson. Sans doute la plus célèbre assemblée de la can, célébrée aujourd’hui encore !
1690. La population de Saint Laurent compte 490 habitants : 15 feux catholiques avec 50 âmes et 80 feux protestants avec 40 âmes.
Dans les années qui suivirent la révocation, des missionnaires catholiques furent envoyés dans les environs. Fait curieux, entre 1693 et 1695, c’est chez Jean Boudon, à l’auberge de l’Hospitalet, qu’ils s’installèrent, sans doute parce que le lieu était pratique pour rayonner vers Vébron, Saint Laurent de Trèves et le Pompidou. Savaient-ils qu’ils se trouvaient sur l’un des lieux de résistance ?
1695. Roman prêche dans une assemblée secrète au Grand Castanet, près du Cabanis, dans une clède. Plusieurs habitants de Racoules et Salgas seront arrêtés.
Avril 1698. Roman convoque une assemblée à la Baume Dolente. Deux habitants du hameau de Montagut (Puech et Jean Meynadier) vont la dénoncer aux soldats qui arrivent et font de nombreux prisonniers. Cinq hommes sont envoyés aux galères (dont Daniel Meynadier de Montagut), et trois soeurs Malzac des Vanels sont enfermées à la tour de Constance à Aigues-mortes.
1702-1703 : la guerre des camisards.
Juillet 1702, c’est l’assassinat de l’abbé du Chayla au Pont de Montvert, événement qui déclenche la guerre des camisards. Le déclencheur de cette opération est peut-être à rechercher à Barre des Cévennes, lors de la foire de la Madeleine.
Les événements se précipitent et deviennent extrêmement violents.
25 octobre 1702. Conduite par Abraham Mazel, une troupe de camisards incendie l’église de Saint Laurent, tue le sieur Dupuy à Artigues, et expose son cadavre devant la porte de l’église.
En 1703 les camisards dominent sans partage les communes de Saint Laurent, Vébron, Rousses (hvc, p. 153). Le 20 février, les hommes de Roland venus du Pompidou et les hommes de Castanet venus de Cassagnas se rassemblent à Terre Rouge, puis descendent ensemble à Vébron, ils dorment chez l’habitant et le lendemain, 21 février, ils perpétuent le massacre des catholiques de Fraissinet de Fourques.
Octobre et novembre 1703 : En répression à la révolte camisarde, c’est le « brûlement des Cévennes ». Les hameaux protestants sont méthodiquement brûlés par les autorités. Vébron est brûlé le 14 ou 15 novembre 1703.
Après la guerre
14 août 1718. Une assemblée du désert se tient sur la can de Tardonnenche, au lieu dit « Cros Paradis« , à l’appel d’un prédicant venu du midi. Elle est dénoncée, deux hommes et quatre femmes sont fait prisonniers… Le souvenir de cette assemblée est resté particulièrement vif dans les mémoires…
7 septembre 1738. Une assemblée est surprise au bois de l’Astunes, sur le rebord sud-ouest de la can de l’Hospitalet.
La détente
A partir des années 1740 – 1750, la répression diminue progressivement. On trouve à nouveau des « registres du désert », véritables registres de baptême et de mariage clandestins. Malgré quelques poussées de violence répressive (un pasteur est exécuté en 1762, des gens sont envoyés aux galères), les autorités commencent à fermer les yeux sur les pratiques protestantes. Cette détente provient probablement de plusieurs raisons : la peur d’un retour à la violence de l’épisode camisard, les variations des effectifs militaires présents. Le moral et la combativité des troupes, mises au repos dans les Cévennes, ont pu aussi subir des évolutions sensibles (hvc, p. 210).
Enfin, progressivement, monte l’idée de tolérance. (dpc, p. 14)
La régularisation des protestants
1787 : l’édit de tolérance accorde une légitimité officielle au culte protestant. Les persécutions cessent définitivement.
1791 (septembre). Un synode se tient sur la can. Il y est décidé que les pasteurs du culte protestant ne prendront aucun emploi civil. (lpj, p. 264).
Au XIXème, on trouve encore trace d’assemblées sur la can, comme celle de septembre 1841. Au XXème siècle les assemblées sur la can et aux alentours prennent un tour plus commémoratif. Il faudra voir la fin de la seconde guerre mondiale et les années 1960 pour voir les tensions s’apaiser totalement et définitivement entre les deux communautés.