« L’hort de Dieu »… le jardin de dieu en occitan, hortus dei en latin. Ne pas confondre cet Hort de Dieu là avec celui, beaucoup plus célèbre, du Mont Aigoual : un arboretum créé en 1902 par Georges Fabre pour tester différentes espèces végétales appropriées au reboisement des pentes ravinées par l’érosion.
Dans les dernières centaines de mètres menant au sommet de la vallée française, les pentes se redressent en un vaste cirque dont le faîte forme la ligne de partage des eaux Atlantique – Méditerranée. Tout autour s’échelonnent des sites chargés d’histoire : l’Hospitalet, le col de Solpérière, le col des Faïsses, les ruines du château de Terre-Rouge, la can noire, le rocher des fées du Barret. Autant de lieux connus, cartographiés, accessibles, reliés entre eux et au reste du monde par la route de la corniche des Cévennes ou des pistes aisément praticables. Mais dès que l’on quitte le plateau pour descendre vers l’Hort-de-Dieu, tout ce monde disparaît pour ne laisser la place qu’à un univers retranché où ne règne que le lointain souvenir de l’homme et de son activité. Seul le bruit lointain des motos qui parcourent la corniche à la recherche de sensations de liberté en rappelle encore l’existence.
Sur une carte du XVIIIème siècle, la can de l’Hospitalet apparaît comme une tache presque vide. Seuls quatre noms de lieux-dits y sont portés : Saint Flour du Pompidou, l’Hospitalet, le Rey… et l’Hort de Dieu ! Cet endroit aujourd’hui oublié aurait donc à l’époque été considéré comme de première importance. D’où ma curiosité : qu’y avait-il de si remarquable à l’époque ? Le nom laisse penser que l’on pouvait ici faire particulièrement bien pousser les végétaux utiles à la vie… De fait, malgré les pentes raides, de nombreux signes témoignent d’une utilisation agricole intense : les terrasses sont nombreuses, les terrains abandonnés sont encore peu enfrichés et une belle herbe tendre y pousse encore au printemps. Plusieurs ruisseaux permettent de disposer un peu partout d’une eau précieuse…
La carte IGN indique une ruine appelée l’Hort de Dieu, à mi chemin de la barre rocheuse qui s’avance sous le col des Faïsses et de la jonction des deux ruisseaux issus du valat de Baumoleïro et du château de Terre Rouge. Cet ensemble très dégradé regroupe des bâtiments d’habitation (avec four à pain) et des dépendances agricoles. Ce serait donc le coeur du vallon, le centre du domaine de Dieu. Mais les alentours sont en pente raide, embroussaillés et d’un accès difficile… Quelque chose ne donne pas envie d’y croire.
Sur le versant d’en face, sous les pentes sud de la can noire, un autre bâtiment attend tranquillement au pied de deux frênes isolés visibles de loin. C’est une bergerie de calcaire en ruine. Une magnifique voûte en ogive s’est partiellement effondrée en quelques blocs colossaux qui font penser à une architecture cyclopéenne. Le pignon sud a été consolidé de manière étonnante par un contrefort en pierre de taille de facture beaucoup plus riche que la construction d’origine… Le lieu a donc longtemps gardé une valeur importante pour les propriétaires ou les exploitants.
De fait, il règne ici une ambiance de beauté et de tranquillité qui fait contraste avec la ferme. On se sent mieux à la bergerie qu’à la maison.
Sans s’avancer au delà des informations dont l’on dispose, on peut faire quelques hypothèses vraisemblables sur l’utilisation passée du lieu. Il prend son sens lorsqu’on le considère dans sa proximité avec plusieurs sites emblématiques de la can de l’Hospitalet.
- Un magnifique sentier à flanc part plein ouest et permet une jonction facile (1/4 heure) avec le rocher des fées du Barret, ses gravures en croix et ses vestiges d’habitats anciens.
- A peu près à la même distance, en remontant plein nord, se trouvait le château de Terre Rouge, poste de surveillance sur une importante voie de communication au moyen-âge.
- Un peu plus loin vers le nord et le sud, l’Hospitalet et le col du Rey, accueillaient les voyageurs, pèlerins et croisés.
Tous ces sites, et particulièrement les deux derniers, ont dû nourrir un grand nombre de personnes sur de longues périodes. L’Hort-de-Dieu aurait pu constituer un établissement de production agricole dans ce but ?
D’autres traces attestent d’une utilisation régulière du site. En face de la bergerie, sur un épaulement qui remonte vers l’Hospitalet, se trouve une carrière de schiste assez vaste. Certains fronts de taille semblent récents, d’autres ont eu le temps d’être recouverts par la végétation, voire par un petit sol en reconstitution. Aucune piste visible ne dessert pourtant le lieu. Ou sont parties toutes ces pierres dont la quantité extraite dépasse largement le volume nécessaire à l’édification de la ferme de l’Hort de Dieu ? Comment ont-elles été transportées ? Mystère !
Plus haut sur l’épaulement, à proximité d’un replat, deux petits blocs de grès égarés loin de leur base (on est dans le schiste), sont enterrés côte à côte dans l’herbe. Leur surface est marquée de ce qui fait immanquablement penser à des cupules, ou en tout cas de gros creusements artificiels. Quand aux deux petits blocs, ils font penser à un menhir brisé… on peut toujours rêver.
Pas de doute, il en est passé du monde à l’Hort de Dieu…