Ce texte n’est pas de moi, mais j’en ai perdu l’origine.
Tard, dans la soirée de ce dimanche, André Pascal quitte la maison de son beau-frère Etienne Boudon qui habite Tardonnenches. Il regagne la Can pour s’en retourner chez, lui à Ventajols où l’attend sa femme Antoinette. Un généreux clair de lune l’aide à assurer ses pas. La lune sera pleine dans deux jours. Lorsqu’il atteint le plateau, il longe la terre labourée où Antoine Meissonnier travailleur de terre de Ventajols a récemment semé les blés de mars pour son propre compte et pour celui d’Antoine Rouvière, tisserand de toiles, son voisin.
Ordinairement en hiver, à Ventajols comme ailleurs, la nuit tombée, les veillées paysannes réunissent parents, amis ou voisins autour de l’âtre familial. En cette année 1702 le hameau est constitué d’une vingtaine de foyers, ce qui représente tout de même une centaine d’habitants, enfants compris. Les chefs de familles sont travailleurs de terre, laboureurs, tireurs de laine, tisserands de toile. Il y a par exemple les familles Pin, Rouvière, les Prunet, les Meissonnier, les Pascal, les Goudard et les Chantegrel. Les dimanche, certains Ventajolais comme par exemple notre André Pascal vont rendre visite à leur parentèle, parfois à plusieurs lieues du hameau. Ce soir là, parait-il, tous ne sont pas encore rentrés, c’est en tout cas ce que prétendra le surlendemain des évènements et lors de son interrogatoire Anne
Clauzel dont l’époux Jacques Alcaïs serait parti à Saint Germain de Calberte ce dimanche-là, voir son frère. C’est bien loin d’ici … Elle dira aussi, probablement pour faire bénéficier son mari Jacques d’un alibi, qu’il y serait resté dormir cette nuit mémorable du 12 mars, et qu’il n’était pas à Ventajols. Jacques a épousé Anne, originaire de Saint Etienne Vallée Française tout récemment après le décès de Claudine Pin, sa première femme.
Vers les une heure du matin notre hameau est encore bien agité. Cela fait quelques jours déjà, que la jeunesse du lieu se réunit le soir dans une bâtisse, une sorte de claie ou de clède comme on dit ici, pour y danser et s’y divertir en compagnie de quelques saltimbanques probablement musiciens. Parmi les jeunes qui semblent apprécier ces soirées, il y a un certain Pierre Chantegrel, âgé de 26 ans qui est laboureur. Pierre se fait remarquer depuis quatre ans en marchant dans le feu les pieds nus, et prenant des braises ou des charbons ardents dans ses mains. Il prétend que Dieu lui dit de le faire en l’assurant qu’il ne se brûlera point. Pierre prêche aussi la repentance, et fait savoir qu’il fait des miracles en présence de la jeunesse du pays. Tout ceci n’est évidemment pas du gout des autorités. Elles punissent tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à du fanatisme ou à ce qu’elles appellent l’hérésie. Elle envoie souvent des hommes en armes, qu’il fasse jour ou nuit, dans les hameaux ou dans la campagne des Hautes Cévennes, afin d’y surprendre les assemblées religieuses interdites et de procéder à des arrestations. Ainsi, peu avant cette fameuse nuit blanche à Ventajols, Jacques Rouvière de Ventajols, informé par un de ses neveux des étranges pratiques de Pierre Chantegrel, avait alerté le curé et les consuls de la paroisse, de la possible tenue d’une assemblée au village. Toutefois avant d’effectuer sa démarche auprès du curé, Jacques s’en était allé chez Pierre Chantegrel vérifier les propos de ses neveux au sujet des étranges pratiques de son voisin. Chantegrel lui avait simplement répondu qu’il fallait faire repentance et que le royaume des Cieux était proche.
A cette tardive heure de la nuit, la lumière de la lune enveloppe toujours le hameau de Ventajols où règne encore une certaine agitation. On voit s’approcher une vingtaine de soldats sous les ordres d’Olivier Mazauric. Olivier est un homme de 40 ans, il habite Fraissinet de Fourques et est à présent lieutenant de Mr de Miral, Inspecteur de la Bourgeoisie des Cévennes. L’alerte est donnée dans le hameau. Cette tâche était souvent confiée à des femmes qui faisaient alors le guet lorsque se tenait une assemblée. Lorsque le détachement parvient au village, Pierre Pratlong, laboureur de terre au Veygalier, dans la paroisse de Fraissinet de Fourques, appartenant à la troupe de la bourgeoisie, aperçoit tout d’abord sur une muraille située en haut du hameau un homme qui tente de prendre la fuite. Il voit également quatre ou cinq autres personnes se trouvant en contrebas qui se sauvent également. Un homme du détachement tire dans leur direction un seul coup de fusil. Puis Pratlong et ses camarades se lancent à la poursuite du premier fuyard et parviennent à l’arrêter. Il parait avoir lui une quarantaine d’années. On l’interroge mais on ne parvient pas à lui faire dire son nom, ni celui des autres qui sont en train de s’échapper. Pierre Pratlong prend alors la direction de la maison d’Antoine Meissonnier, dans laquelle il règne un grand bruit. Il tente de pousser la porte. Dans un premier temps, elle résiste à sa poussée. Des personnes placées derrière la porte retiennent son ouverture. Il s’agit de deux jeunes femmes dont l’une est Claudine Meissonnier. La porte s’ouvre enfin, elles sont bousculées et faites prisonnières. En entrant, Pratlong remarque dans l’âtre les restes d’un feu que l’on venait tout juste d’éteindre, et également des lampes encore fumantes mais dont l’une d’entre elles se consume encore un peu. Il a alors le temps d’apercevoir à sa surprise, six à sept personnes qui se trouvaient encore là. Puis dans l’obscurité, il entend le bruit que font en sautant d’un plancher à l’autre plusieurs personnes en train de s’échapper.
Le premier fuyard que l’on avait arrêté est finalement amené à la maison d’Antoine Meissonnier. Il vient enfin de révéler son identité. Il s’agit d’Antoine Rouvière. Il a 45 ans. Il est tisserand de toiles et vit au hameau. Il raconte que la jeunesse du lieu s’était assemblée ce soir chez Antoine Meissonnier pour y danser et s’amuser. Les hommes du détachement décident alors de visiter les autres maisons. Ils entrent chez un autre habitant nommé lui aussi Rouvière. Les Rouvière de tout temps ont été présents et très nombreux au hameau de Ventajols. Celui-ci est considéré par ses voisins comme le plus riche du village. On l’interroge. Il répond que pour sa part il préfère rester chez lui et de s’y enfermer. Le lieutenant de bourgeoisie Mazauric lui reproche alors, probablement compte-tenu de sa position sociale avantageuse, de ne pas s’opposer à la tenue de telles assemblées dans son village. Il répond qu’on a déjà menacé de lui brûler sa grange et refuse d’en dire plus.
Il est deux heures du matin environ lorsque les hommes du détachement entrent chez le fameux Pierre Chantegrel, l’homme qui marche sur les braises. Etrangement, il est tout tranquillement présent dans sa maison en compagnie de sa mère. On le fait prisonnier sur le champ.
Le lendemain des évènements, lundi 13, on vient arrêter André Pascal, mari d’Antoinette Boudon et père de deux enfants prénommés Jean et Etienne. Il est amené et emprisonné lui aussi à Florac. André s’était barricadé chez lui avec sa famille, à son retour de Tardonnenches dans la nuit du dimanche 12. A son arrivée à Ventajols, il y croisa les hommes du détachement, mais ceux, affairés-ci ne le virent pas. Plus tard, lors de son premier interrogatoire le Mercredi 15 mars à Florac, n’ayant pas été vu par la troupe cette fameuse nuit du 12, il prétendra qu’après avoir soupé avec son beau-frère et réglé quelques comptes avec lui, il ne rentra pas tout de suite à Ventajols, mais qu’il resta dormir à Tardonnenches. De surcroit il prétendra dans sa déposition avoir passé ensuite la journée à Florac et d’avoir même assisté à la messe ! Mais au cours de sa confrontation le vendredi 17 mars avec son beau frère Etienne Boudon, il donnera une autre version plus plausible. Etienne le beau-frère, craignait peut-être que la vérité éclate, et avoir lui aussi des ennuis. Dans leur déclaration commune, André Pascal reconnaitra alors être rentré en vérité à Ventajols, de s’être enfermé le restant de la nuit du dimanche dans sa maison d’où sortaient les hommes du détachement de la bourgeoisie qui venaient d’interroger sa femme.
Il n’est pas interdit de penser qu’une troisième version est possible. Peut-être était-il en réalité déjà retourné à Ventajols plus tôt et qu’il était présent dans la maison des Meissonnier où se tenait l’assemblée et qu’au moment de l’arrivée des hommes d’Olivier Mazauric il se soit enfui dans la nature comme l’avait fait une quinzaine d’autres personnes, et qu’ensuite il soit rentré au logis après le départ du détachement.
Lors de son interrogatoire à Florac, la jeune Claude Meissonnier, elle, nie le fait qu’elle ait retenu la porte pour s’opposer à l’entrée de Pierre Pratlong. Elle dit aussi que ceux qui avaient pris la fuite n’étaient que des enfants qui badinaient au clair de lune. Elle ajoute qu’elle avait entendu dire que Pierre Chantegrel se disait « prophète ». Elle dit également, contre toute vraisemblance, que dans sa maison au moment des faits, se trouvaient seulement son frère, sa cousine Jeanne Meissonnier et Antoine Rouvière
Pierre Chantegrel, emprisonné à Florac, est interrogé le 16 mars devant Jean Bonicel, Sieur de l’Hermet , avocat en Parlement et subdélégué de Monseigneur l’Intendant du Languedoc. L’accusé avoue que cela fait cinq ans qu’il est tombé dans le haut mal . Il admet qu’en proie à ses convulsions il ne sait pas ce qu’il dit ou ce qu’il fait. Pierre Pratlong soutient que l’accusé Pierre Chantegrel lui avait avoué qu’il se repentait d’avoir prêché par le passé, ne sachant qui lui faisait faire ses actes : Dieu ou le Diable. On demande à Chantegrel de qui il tient ses dons, qui lui enseigné à faire le fanatique et à raconter aux autres qu’il était capable de faire des miracles. Il répond qu’il n’en sait rien. Il nie avoir été présent à une quelconque assemblée interdite. Il dit n’être sorti du village ce dimanche que pour aller à la messe ! Sur ce dernier point c’est difficile de le prendre au sérieux ! Il ajoute qu’il ne souvient pas, qu’étant en prison, il refusait de manger la nourriture qu’on lui apportait. Pourtant en pareille circonstance, on lui entendait dire : Mon Dieu, la mangerai-je ? Ensuite, il se répondait à lui-même comme si c’était Dieu qui parlait : Non, non ! Mon enfant, mais tu prendras le pain et le mettras à ta poche droite et non pas à la gauche
Finalement, au cours des différentes opérations, le détachement de la bourgeoisie de Mr de Miral aura procédé en tout à cinq arrestations parmi les habitants de Ventajols. Les prévenus auront été emprisonnés à Florac: Pierre Chantegrel, Antoine Rouvière, André Pascal, Anne Clauzel et Claudine Meissonnier. Les dépositions, confrontations, relecture des déclarations tant des témoins que des prévenus, concernant l’affaire Chantegrel, ont été conservées aux Archives de Montpellier. On constate que ce procès de mars 1702 fut conduit de manière expéditive.
Le 7 avril suivant, nous sommes donc toujours en 1702, le procureur du Roy écrit : Vu l’information faite contre Pierre Chantegrel fanatique du lieu de Ventajols, vu les interrogatoires et les réponses et confrontations des témoins, le tout considéré : Que le dit Chantegrel soit condamné aux galères pour 3 ans.
Trois mois plus tard, au cours de cette même année 1702, l’abbé du Chayla sera tué au Pont-de-Montvert et en octobre l’église de Saint-Julien sera brûlée, ensuite ce sera le tour de celle de Saint-Laurent