Prospecter… voilà une activité à laquelle se prêtent merveilleusement bien les causses et les plateaux des cans. Les grottes et les avens connus sont légion, et pourtant il en reste des milliers à découvrir.
Chaque épisode cévenol achève d’ouvrir quelques avens qui progressaient en secret vers la surface depuis des millénaires… Le bouchon terreux, vaincu par les eaux, s’effondre et laisse apparaître les ténèbres. Sans cesse il faut repartir sur les mêmes chemins pour surveiller les dépressions suspectes sur les pelouses.
Il y a aussi que l’homme est une drôle de bestiole : il ne remarque que ce qu’il cherche, mais peut passer tous les jours à côté d’une cavité sans la voir si les abîmes ne l’attirent pas. Il faut donc arpenter méthodiquement les zones fréquentées comme les écarts, la chance d’y trouver quelque chose est réelle.
Et puis enfin, même ce qui a été connu autrefois a souvent disparu du souvenir des hommes. Combien de cavités ont été aperçues, identifiées, puis oubliées. Soit qu’elles se soient refermées sans crier gare, soit qu’on en ait oublié l’emplacement, les broussailles faisant le reste.
Trouver une nouvelle grotte au cours d’une balade qui n’a pas cet objectif est rare, très rare (mais cela m’est tout de même arrivé une fois, et cette fois là était précieuse car il y avait également une découverte archéologique à la clé). Celui qui veut vraiment découvrir du neuf s’organise donc tout spécialement. Il sera plus efficace s’il planifie, cartographie, mesure, évalue. Il y a une dimension intellectuelle assez jouissive, à considérer la carte en réfléchissant aux zones à prospecter.
Et puis ensuite, il y a le terrain. Il s’agit rarement d’une promenade de santé. Il faut « bartasser ». Ramper sous les broussailles, se glisser entre le pied de falaise et les premiers ronciers sauvages… Parfois, forer un véritable tunnel au sécateur… la vitesse de progression peut descendre jusqu’à … quelques mètres par heure, dans les pires cas. Sans compter le danger, bien réel lorsque l’on s’aventure sur une vire, à mi pente d’une falaise pourrie, et que le sac à dos accroche une écaille rocheuse qui se détache, manque vous précipiter dans le vide, et va exploser dix mètres plus bas. Si je croise quelqu’un sur la route du retour, il va forcément me dire : ah, t’as encore été prospecter, toi ! Ce n’est pas bien difficile à deviner : un vrai prospecteur est forcément en lambeaux, en sang, et en terre.
Il faut compter une heure de prospection pour une découverte minuscule (une faille qui queute à 1 mètre), 10 heures pour une découverte petite (un boyau de quelques mètres de long), 100 heures pour une découverte intéressante (une cavité de quelques dizaines de mètres ou une petite grotte avec un contenu archéologique bof), 1000 (mille) heures pour une belle découverte (belle petite grotte, cavité archéologique intéressante), 1000000 (un million) d’heures pour découvrir la grotte Chauvet ou le réseau de la Pierre saint Martin. A ce jour j’ai atteint le stade 1000 (mille), mais je ne désespère pas.
Selon mes possibilités, je fais entre une journée par mois et une journée par semaine de prospection sur la can de l’Hospitalet. Sans me cantonner aux grottes, je profite du déplacement pour chercher tout ce qui peut être intéressant. Mais il est très difficile d’avoir une attention portée sur plusieurs choses à la fois. La recherche de grottes implique d’observer le paysage de manière globale, déceler les formes des couches de calcaire, etc… détecter un tesson de poterie au sol nécessite une autre échelle d’observation, beaucoup plus étroite, qui empêche de regarder vraiment le paysage. J’aimerais être équipé de capteurs qui me permettent toutes ces approches à la fois. Dans cette attente, il reste la solution de prospecter à plusieurs, chacun se focalisant sur certaines échelles… Le problème est que la majeure partie de l’humanité, pour toutes les bonnes raisons que j’ai évoquées précédemment, déteste absolument prospecter.
La prospection est donc un moment solitaire par excellence, pendant lequel je mène mes affaires à un rythme qui est le mien et celui de personne d’autre. Je suis seul avec la nature la plus sauvage. C’est ressourçant. Parfois c’est un peu triste, aussi. Alors, lorsqu’enfin je trouve quelque chose, il y a la récompense. Celle d’y retourner avec des gens. Pour partager.