Le Mont Lozère est un coquin. Ce massif cristallin, entretenant une secrète alliance avec les causses, héberge sur ses rebords quelques lambeaux de calcaire. Ils sont d’épaisseur et de dimension modestes, mais c’est pourtant là que se cache l’une des grandes grottes de Lozère, et certainement l’une des plus intéressantes : Malaval.
Cette cavité a tout pour plaire. Non seulement elle est grande et belle, avec ses concrétions rares, mais en plus elle a connu une histoire riche et mouvementée, dont les différents épisodes font intervenir tous les grands sentiments de l’âme humaine : aventure, sciences, guerre (de l’eau)… N’y manque que l’amour, et encore : partant du fait qu’elle est située juste sous les deux seins des Puechs des Bondons, et que de nombreux menhirs se dressent sur le plateau tel des phallus, Jean Fossart l’a comparée au sexe de la « vieille », cette ancestrale mère des humains, dans le ventre de laquelle les Hommes souhaiteraient secrètement retourner.
On dit que la grotte fût découverte vers 1840. Je m’interroge déjà sur ce fait : comment l’entrée bien visible de la grotte aurait-elle pu rester inconnue avant cette date, à une époque où, bien plus qu’aujourd’hui, la montagne était parcourue en tous sens par des jeunes pâtres courant au cul des troupeaux ? L’entrée s’est-elle ouverte récemment ? Ou bien le terme « découverte » signifie-t-il « par des spéléologues », ou « par des gens extérieurs au pays » ?
A peine « découverte » donc, la grotte se fait remarquer. Au hameau de Malaval, on manque d’eau, et un jeune berger (raconte-t-on) découvre un jour une rivière au fond de la grotte, à quelques centaines de mètres de là. Cette découverte n’avait rien d’évident : la rivière coule plus de dix mètres en dessous du niveau de l’entrée. Pour l’atteindre il faut effectuer une désescalade facile mais impressionnante, surtout à cette époque où le milieu souterrain fait peur. Le berger a-t-il juste entendu l’eau couler au loin, ou a-t-il eu le courage de descendre ?
Toujours est-il que la nouvelle se répand. Un certain Mr Bazalgette du hameau de Malaval décide d’exploiter cette information pour alimenter le village en eau. Il fait creuser une galerie de 120 mètres qui, depuis le bas du vallon, rejoint directement la rivière souterraine à son point le plus proche. Une précision remarquable, sans doute calculée par des spécialistes miniers des exploitations alentour. L’opération est un succès : l’eau jaillit en abondance, et termine de descendre vers Malaval par cette voie naturelle toute tracée qu’est le vallon de Malpertus. Malaval est sauvé de la soif, mais pas des ennuis. La source qui alimente le hameau de Monteils, à un peu plus d’un kilomètre au sud-est, se tarit brutalement. Elle était alimentée par la même rivière souterraine, qui continuait son chemin dans cette direction.
Une véritable guerre de l’eau s’ensuit, dont je ne connais pas les détails. On raconte qu’il y eut un mort. L’eau ne fut toutefois jamais rendue aux Monteillois, puisque la galerie artificielle de Mr Bazalgette est toujours visible et opérationnelle aujourd’hui, elle continue d’alimenter Malaval sans démériter.
Si l’entrée et les premières dizaines de mètres de la grotte ont été reconnus peu de temps après la découverte, il en va différemment des développements intérieurs, qui vont rester au calme pendant encore un certain temps. Depuis les époques préhistoriques, les cavités n’attirent plus guère les humains qui préfèrent le soleil, et c’est avec méfiance qu’ils s’aventurent sous terre. En ce milieu du XIX ème siècle, cependant, une nouvelle pratique sportive et exploratoire commence à se développer : la spéléologie. Des sortes de fous s’aventurent sous terre sans obligation, rien que pour le plaisir de la découverte. La grotte est donc très partiellement visitée en 1896. Pendant quelques années, elle suscite un certain intérêt parmi les pionniers locaux de la spéléologie qui vont en visiter les premières dizaines de mètres..
Puis, curieusement, on n’en entend plus parler. Elle semble ne plus intéresser les spéléologues, qui préfèrent sans doute se consacrer aux grands puits ou aux grottes préhistoriques des causses tout proches ! Il faudra encore attendre quelques décennies pour qu’une exploration plus sérieuse soit entamée par le Dr. Jean Gajac et ses amis, à partir de 1947. En trois années, avec l’aide de plusieurs club spéléologiques des environs, près de 4 kilomètres de rivière sont reconnus, et c’est à cette époque que des traçages permettent de comprendre que la rivière souterraine poursuit sa route jusqu’à Monteils, même si sur cette section elle ne charrie plus beaucoup d’eau, la faute au tunnel artificiel qui lui en soutire la presque totalité. Un certain Jacques Rouire participe activement aux explorations, et va prendre une certaine importance dans l’histoire de la grotte.
En plus d’être spéléologue amateur, Jacques Rouire est également ingénieur au B.R.G.G.M (Bureau de Recherches Géologiques, Géophysiques et Minières, prédécesseur du B.R.G.M. actuel). Au cours des explorations, son oeil de professionnel remarque de nombreux filons métallifères qui lui semblent intéressants, en particulier de la Galène argentifère. Il propose à ses supérieurs d’utiliser la rivière souterraine comme une galerie de sondage pour explorer le sous-sol de toute cette zone afin d’en estimer le potentiel minier. La proposition est acceptée, et une campagne de prospection est lancée.
De l’entrée naturelle, il faut plusieurs heures pour en rejoindre les parties les plus éloignées de la grotte. Ce trajet représente un plaisir pour des spéléologues amateurs, mais pour des géologues se rendant sur leur lieu travail, il est trop long. Pour faciliter l’accès, un puits artificiel de 32 mètres est foré en 1956. A l’extérieur, il émerge dans la Combe du Valat de Brenou, au pied du puech Allègre. A l’intérieur, il jonctionne avec la galerie principale à plusieurs kilomètres de l’entrée naturelle. Voilà Malaval dotée d’une seconde entrée.
Pour faciliter leurs allées et venues, les géologues posent des échelles métalliques fixes aux passages les plus escarpés, et installent des passerelles de bois au dessus de la rivière. Le principe de construction est sommaire mais efficace : à espaces réguliers (3 mètres ?) des poutres sont coincées entre les deux parois de la grotte, à quelques décimètres ou quelques mètres au dessus de l’eau. Sur ces montants sont posées des poutres perpendiculaires qui constitueront la passerelle. Pour y avoir marché moi-même au début des années 2000, je crois me souvenir que les pièces de bois utilisées étaient tout simplement des traverses de chemin de fer. Près d’un kilomètre de passerelle furent ainsi progressivement construites, important dans la grotte d’énormes quantités de bois qui posèrent bien des problèmes par la suite.
Pendant que les géologues prospecteurs travaillent, les amateurs ne sont pas en reste. L’existence du puits change leurs pratiques. La grotte peut maintenant se visiter en « traversée ». Et surtout, le second accès raccourcit considérablement le temps qui leur était nécessaire pour accéder aux parties amont de la grotte. Ce fait va accélérer les découvertes dans cette partie du réseau. Il y aura notamment les spectaculaires salles des « Blanches » et « Super blanches », présentant des concrétions d’une exceptionnelle finesse et diversité. Mais il y a de plus en plus de monde dans la grotte, et de nombreux vols et dégradations des concrétionnements seront constatés dans cette période.
En 1954 le développement connu approche les 5000 mètres.
En 1959, le B.R.G.G.M. décide finalement d’abandonner les recherches, car les filons de galène ne sont pas suffisamment importants pour être rentables. C’est une excellente nouvelle pour la grotte de Malaval et ses environs : une mise en exploitation aurait très probablement causé beaucoup de dégâts !
Suite à l’abandon des recherches, le puits artificiel est fermé. Hélas, à plusieurs reprises la porte est fracturée, et des personnes peu scrupuleuses en profitent pour emporter des concrétions !
Malaval continue de grandir. En 1969 une équipe de spéléologues parisiens se « trompe » de chemin et découvre une large et belle galerie sèche, située au dessus du réseau principal, à quelques centaines de mètres à peine de l’entrée naturelle. Elle prendra le nom de « Réseau des Tucs », et deviendra un objectif classique pour les visites d’initiation. Le plus amusant dans cette découverte impromptue, c’est que les parisiens ne surent qu’après leur sortie qu’ils avaient fait de la première.
Une première topographie sérieuse est entamée en 1974 par M. Chabaud. Achevée en 1976, elle recense 5678 mètres de galeries dessinées sur un plan au 1/2000ème.
La grotte de Malaval, si elle est d’un accès relativement facile pour un spéléologue chevronné, n’en reste pas moins dangereuse : la progression se fait souvent à grande hauteur au dessus de la rivière, et la chute est mauvaise. Les accidents y sont rares mais réguliers. En 1979, deux accidents consécutifs décident les autorités locales à interdire l’accès de la grotte aux spéléologues.
Malgré tout, au début des années 2000, l’exploration s’accélère. Plusieurs prolongations sont découvertes : la galerie Chabaud, la galerie de la Quarantaine, la galerie Monique. La grotte n’en finit pas de se développer, et de révéler de nouvelles richesses, à tel point que finit par naître l’idée naît de la protéger. C’est en 2002 qu’est créée dans ce but l’association Malaval, dont les premiers projets vont consister à entamer de vastes nettoyages. Voilà en effet près d’un demi-siècle que le bois des passerelles installées par les géologues du BRGM pourrissent dans la cavité, menaçant de contaminer la distribution en eau potable du Hameau de Malaval. Le travail s’effectue au cours de journées rassemblant des dizaines de bénévoles enthousiastes. En 2005 il ne subsiste quasiment aucune trace de la prospection minière. Une page se tourne.
En 2003 Malaval devient célèbre. Après un tournage long et complexe, une des émissions de la série Ushuaïa lui consacre dix minutes de très belles images qui ont beaucoup circulé depuis.
Au début des années 2010, deux nouvelles prolongations de grande envergure sont découvertes. La grotte gagne encore 800 mètres vers l’amont, insensiblement elle se rapproche du Bramousset et de la rivière souterraine du Bramont, donnant espoir à tous ceux qui la parcourent de, peut-être, jonctionner un jour ? Côté aval, depuis la « guerre de l’eau » du XIXème siècle, on a la preuve que la rivière poursuit son itinéraire souterrain vers le sud. Un long travail de désobstruction permet finalement de trouver la continuation, et voilà encore quelques centaines de mètres de plus.
Les éléments historiques de ce texte puisent largement dans le résumé écrit par Daniel André et Michel Wienen, et publié dans la revue « Malaval Lien » n°1 (avril 2004)
Attention : l’accès de la grotte est restreint. L’entrée est située sur des terrains privés, si vous voulez la découvrir à votre tour il faut en faire la demande à : Association Malaval – Chez Daniel André – La Lèche – 48320 Ispagnac.