La pénétration du téléphone portable en Cévennes est plus lente qu’ailleurs. Certains grands opérateurs annoncent fièrement qu’ils couvrent tout le territoire, c’est à dire 99%. Les 1% restants, c’est évidemment ici. La complexité du relief génère trop de difficultés techniques (et donc financières) pour connecter ce marché insuffisamment juteux (il y a si peu d’habitants !) au reste du monde. Seuls quelques rares endroits, en vue d’un lointain pylône, permettent d’avoir d’improbables et fréquemment interrompues conversations avec le reste du monde.
On reconnaît ainsi facilement les citadins de passage dans la région au fait qu’ils errent désespérément de virages en crête rocheuse, la main à l’oreille, manipulant rageusement leurs appareils sans obtenir les indispensables chevrons gages de connection.
De ce fait, la cabine téléphonique, concept en recul rapide rapide dans l’ensemble du paysage français, résiste mieux ici qu’ailleurs.
Il en est une que j’invite toute personne passant sur la route dite « corniche des Cévennes » à visiter. Elle est située à Saint-Laurent de Trèves, tout près du site des traces de dinosaures. Il y a donc matière à faire d’une pierre deux coups, je vous laisse deviner quel est d’après moi le site le plus intéressant.
Mais qu’a t’elle de si intéressant, cette cabine ? C’est tout simplement, d’après moi, la plus belle de France. Pas la cabine en elle-même, non : celle-ci est de facture tout à fait classique (sauf peut-être mis à part le fait que les vitres n’en sont ni taguées, ni brisées, et qu’au bout du fil il y a un combiné) : cadre métallique gris, vitres, porte à deux battants… On y entre sans faire attention, on décroche, on introduit sa pièce, on compose le numéro, puis le temps que l’interlocuteur décroche on relève la tête dans un geste machinal… et on reste scotché, médusé. Par delà la vitre du fonds roule à perte de vue un paysage à couper le souffle. La vallée du Tarnon est visible en enfilade, encadrée par les falaises du Causse Méjean et de la can de l’hospitalet, alternant méandres et crêtes rocheuses… Bien loin au fond Florac se distingue à peine, surmontée par le Mont Lozère et ses diverticules…
L’interlocuteur décroche : « Allo ? …… Allo ?…. Il y a quelqu’un ?….. Allo ? ». On reste sans voix, tout entier absorbé dans les profondeurs du paysage, voyageant à la vitesse de la lumière du puech des bondons au Lempézou, pris d’un vertige pascalien. L’interlocuteur dépité raccroche. Les esprits reviennent peu à peu, le bip du combiné qui pend, inerte, au bout du fil, résonne dans la cabine.
Certaines nuits d’hiver, les voitures en provenance de la plaine par la corniche des Cévennes, et qui viennent à cet endroit de s’engager dans la grande descente vers la vallée du Tarnon, sont brutalement mises en difficulté par la neige et la pente. Généralement rien de grave mais certains soirs on a compté jusqu’à 4 voitures dans le décor en 2 km de descente.
La plus belle cabine téléphonique se transforme alors pour les rescapés en un lieu d’accueil salvateur, hâvre de sécurité au milieu d’un monde hostile. De cet endroit unique furent et seront encore longtemps envoyés de nombreux appels à l’aide vers inter-mutuelle assistance.
Mais l’aspect le plus extraordinaire de cette cabine est encore ailleurs. A la différence de toutes les autres cabines de France, sur la tablette située à droite de l’appareil, est posé un objet tout à fait incongru en ces lieux : un annuaire.
2022 : il y a maintenant longtemps que la cabine téléphonique de Saint Laurent a été démontée, mais son souvenir persiste dans nos coeurs.