Sur un rocher situé à gauche du portail d’entrée au site des dinosaures de Saint Laurent de Trèves est gravée une inscription très discrète. Les lichens ont commencé à y apposer les taches sombres. Le texte raconte qu’en ces lieux ont été dispersées les cendres d’un certain René Allio, cinéaste, qui y aurait tourné des scènes de son film « Les Camisards« .
Moi qui habite à deux pas et fréquente ce plateau depuis des années, il aura fallu que quelqu’un d’étranger à la région vienne me montrer cette inscription pour que je la découvre, et me raconte l’histoire de René Allio pour que je comprenne l’importance qu’a eu cet homme et son film dans l’histoire locale.
Voyons d’abord ce que disent les biographies « officielles ».
René ALLIO : 8 mars 1924 – 27 mars 1995
« René ALLIO, petit-fils d’immigrés italiens et de Marseillais, passe son enfance et sa jeunesse à Marseille, ville dans laquelle il reviendra sans cesse, dont il filmera mieux que personne le pluriel de ses cultures, le pluriel de ses gens et de ses couleurs. Il y implanta d’ailleurs dès 1978 le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique. À Marseille, et surtout à Paris où il se rend assez tôt pour résider, mais aussi à Lyon, il sera tour à tour, décorateur et créateur de costumes pour le théâtre et l’opéra, scénographe, peintre, écrivain et cinéaste.
La carrière de René ALLIO au théâtre ne fut pas un simple passage : il a commencé dans les années 50, parallèlement à son activité de peintre. Décors, costumes, architecture et même mise en scène, rien de ce qui caractérise le théâtre comme art visuel et art du récit ne lui est étranger. Il accompagne tout le mouvement théâtral de la décentralisation des années 50 à 70. En particulier, pendant près de 10 ans, il collabore régulièrement avec le metteur en scène Roger Planchon.
Cinéaste des Hommes et de leur temps, René ALLIO réalise 11 longs-métrages et 3 courts et moyens-métrages. Attentif à l’univers des petites gens, des villes ou des campagnes, il fait d’eux les personnages centraux de ses œuvres.
C’est en pensant au lieu de ses vacances d’enfant, Carlèques et les Cévennes, et dans l’effervescence des années qui suivirent 68, qu’il écrit le scénario (inspiré du travail de l’historien Philippe Joutard et avec la collaboration de Jean Jourdheuil) et tourne son film « Les Camisards ». Avec de très grands acteurs, mais aussi avec la participation des gens du coin, le tournage a lieu entre FLORAC, BARRE-DES-CÉVENNES, VÉBRON, SAINT-LAURENT-DE-TRÈVES, durant l’année 1970. Le film campe la résistance des protestants de cette région quelques années après la révocation de l’Édit de Nantes, au début du XVIII ème siècle.
Dans les dernières années de sa vie, il signe la conception et la mise en scène de « La caravane des animaux » et « Le ciel actif » de la grande Galerie de l’Évolution du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris réouvert en 1995.
À la mort de René ALLIO, ses cendres sont dispersées sur le plateau des dinosaures à Saint-Laurent-de-Trèves. En présence de ses amis et d’habitants de la région, un arbre « René ALLIO » est planté. En 2004, une pierre est gravée, en son souvenir, à l’entrée du plateau. »
La dernière amie de René Allio ajoute :
« René a été incinéré le 30 [mars 95] au cimetière du Père Lachaise. Nous avons dispersé ses cendres à Pâques de la même année et avons planté son frêne le 4 novembre 95 […] L’arbre n’a malheureusement pas résisté aux intempéries (sur le versant sud très exposé) aussi nous lui en avons attribué un autre à l’entrée du plateau sur la gauche […]
Je souhaitais marquer une phrase simple sur une plaque, une pierre… qu’on aurait déposée sur le plateau. Et puis il y a eu ma rencontre avec Jean-Claude Saurel qui est graveur et sculpteur à Clermont-Ferrand […]. C’est avec lui que nous avons décidé qu’il graverait une pierre sur place. Un jour d’automne 2004,nous sommes « descendus » à St Laurent, en parlant cinéma bien sûr, des films de René beaucoup… nous avons choisi la pierre et Jean-Claude l’a gravée en une demi-journée. »
Presque quatre décennies plus tard, les traces du film sont présentes partout dans les environs. Les souvenirs de tournage, comme la scène de la bataille de Champdomergue près de la ferme des Crottes, se racontent entre gens du coin. J’en ai même entendu certains prétendre que le tournage des « camisards » aurait joué un rôle non négligeable dans le renouveau d’intérêt des gens d’ici pour leur propre pays, et n’aurait pas été étranger à l’afflux de néoruraux dans les années 70.
L’homme lui-même, aussi, a laissé beaucoup de souvenirs dans la région. C’était un personnage étonnant. Il paraît par exemple qu’il s’était aménagé une cabane dans un arbre du domaine de Carlèque et que c’est là-haut qu’il allait se retrancher pour rêver et écrire tranquillement.
René Allio garde aussi une réputation de grande simplicité et de modestie. Des cévenols qui le connaissaient depuis très longtemps n’ont découvert qu’à sa mort qu’il avait une carrière internationale de cinéaste tellement il était discret sur le sujet, et peu prompt à se vanter. Le fait qu’il se soit à tel point pris d’affection pour cette région et ses habitants qu’il ait souhaité y reposer pour l’éternité est une sorte de baume au cœur pour certains cévenols qui ressentent parfois leur région comme pauvre et délaissée…
Tout ça s’est passé avant mon arrivée dans la région… c’est bien dommage !
Certains anciens collaborateurs et amis de René Allio passent de temps à autres faire un pèlerinage parmi les herbes du plateau qui ondulent au vent. Que font-ils là-haut, à quoi pensent-ils ?