Le « bartas » cévenol

Si comme moi vous êtes amateur.ice de balades dans la nature cévenole, vous serez forcément confronté.e au « Bartas ». Ce terme, à ma connaissance toujours employé au singulier, dérive de l’occitan barta, qui désigne une zone de buissons ou de broussailles.

Pourquoi les cévenols utilisent-ils un mot spécial pour désigner ce qui existe partout, au fonds des jardins et sur les talus routiers ? Parce qu’en Cévennes, la « broussaille » est beaucoup plus développée qu’ailleurs. Après la guerre, un exode rural particulièrement prononcé a progressivement vidé le pays d’une bonne partie de ses habitants. Les paysans vieillissants n’ont pas trouvé de successeur et beaucoup de terres, autrefois entretenues au prix d’efforts intenses par les humains aidés de leurs troupeaux ont peu à peu été envahies par … tout ce qui pouvait y pousser spontanément. Selon les endroits et les types de sols, il peut s’agir de fougère aigle, de ronces, de genêts à balais… et dans un second temps, d’arbustes et d’arbres de différentes espèces.

Des pans entiers de montagne, surtout dans les zones trop raides, trop sèches ou trop minérales pour être très productives, sont retournés à un état que l’on serait tenté de qualifier de « sauvage ». Le terme est sans doute inapproprié car le peuplement végétal qui a repris possession des lieux ne ressemble probablement pas à celui qui préexistait ici avant l’exploitation humaine, il y a quelques milliers d’années. Mais ceci est une autre histoire.

Un bartas, c’est donc une zone de broussailles, mais vaste, très vaste. Et ça, c’est rare ! Moi qui suis originaire de la Seine-Maritime, je vous mets au défi de dénicher le moindre bartas sur ce territoire surpeuplé où le moindre mètre carré de terrain est valorisé (à part peut-être au fonds du jardin ou sur le talus routier)

Les cévenols essaient tant bien que mal de contenir la progression des bartas. L’écobuage, par exemple, consiste à foutre le feu à la montagne et à s’écarter pour voir ce qui se passe. Le spectacle est impressionnant sur le moment, mais la méthode entraîne des dégâts collatéraux, et il ne faut que quelques années à la couverture végétale pour se reconstituer, plus dense et encore plus épineuse qu’avant. Pour obtenir un résultat durable, il faut entreprendre un déracinage complet, véritable travail de fourmi souvent non mécanisable. Certains courageux le font, grâce à eux de petites parcelles de Cévennes revivent chaque année. Mais ceci est une autre histoire.

Le bartas ayant encore de belles heures devant lui, le promeneur cévenol aventureux (c’est à dire celui qui aime sortir des sentiers battus) va donc souvent devoir « bartasser ». Ce terme populaire signifie grosso-modo : progresser péniblement et en jurant sur un terrain accidenté encombré de plantes piquantes qui accrochent les vêtements, fouettent le visage et écorchent les tibias. Si après quelques minutes vos avant-bras, mains et mollets ne sont pas lacérés d’estafilades sanguinolentes, c’est que vous n’êtes pas en train de bartasser. Essayez ailleurs.

Attention, bartasser se mérite ! Une balade classique démarre généralement sur un sentier, et si l’on n’y prend garde on risque fort de le suivre jusqu’à son terme sans avoir mis en oeuvre la pratique en question. Il faut pour celà rester vigilant, guetter l’apparition inopinée d’un petit vallon secret qui s’enfonce sur la gauche ou d’une arête rocheuse qui s’élève à droite pour se donner envie de quitter l’itinéraire de Monsieur et Madame tout le monde. Une fois cette saine décision prise, il ne faut généralement que quelques minutes pour se retrouver immergé en plein bartas. Là commence vraiment l’Aventure. Car c’est toujours dans ces conditions que l’on fait les découvertes les plus intéressantes : un dolmen, une grotte, une carcasse de voiture…

Sortir du bartas constitue ensuite un challenge intéressant, potentiellement durable, au cours duquel une certaine tension peut apparaître au sein des couples. J’ai une grosse expérience dans le domaine.

Mais ceci est une autre histoire.

Bartasser constitue pour moi un plaisir important de la randonnée-exploration cévenole. Pour une raison que je ne m’explique pas, les ami.e.s que j’invite en balade reviennent rarement une seconde fois. A ma connaissance, à part moi seuls quelques chasseurs bartassent volontiers. Voilà qui nous rapproche.

Depuis Florac, une radio locale émet sous le nom de radio-Bartas. Branchez-vous sur la fréquence, elle vous permettra de parcourir les fourrés cévenols sans vous piquer.

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