Les Cévennes, c’est quoi, c’est où ?

Il se dit que si tous les français connaissent le nom de « Cévenne », c’est parce qu’il est quasiment prononcé chaque jour à la météo. Je me rappelle très bien en effet, lorsque j’étais encore petit garçon normand, l’avoir souvent entendu à France Inter, juste avant le jeu des Mille Francs, le samedi, en rentrant joyeusement de l’école pour la dernière fois de la semaine. Cette attention des météorologues s’explique simplement : ce petit pays est situé au confluent de deux zones d’influence climatique antagonistes (méditerranéenne et océanique), ce qui engendre des phénomènes météorologiques puissants et remarquables. Il en est question ailleurs dans ce site.

Tout le monde connaît donc le nom, qui fleure bon le maquis, le sud, le retour à la terre et que sais-je encore… mais personne ne sait très exactement où c’est, et ceux qui y vivent ne sont eux-même pas d’accord sur ses limites.

Pourquoi ?

Parce depuis deux mille ans, il en a été inventé de nombreuses définitions, basées sur des critères de nature différente. Croyez le ou non, il existe des Cévennes climatiques comme vous le savez déjà, mais aussi des Cévennes géologiques, des Cévennes géomorphologiques, des Cévennes culturelles, des Cévennes religieuses, des Cévennes historiques, des Cévennes sociologiques, et même des Cévennes littéraires. Et j’en oublie certainement. Et d’autres types de Cévennes encore inconnus feront bientôt leur apparition, à n’en pas douter.

Le romancier Jean Carrière pose le problème de cette manière : Lorsqu’on me demande de situer approximativement les Cévennes, je suis assez embarrassé : il semble qu’aujourd’hui, il y a une confusion entre l’histoire de cette région et sa géographie – entre ce qui s’est passé à une certaine époque et dans une certaine partie de cette région – et la place exacte qu’elle occupe sur la carte de France. […] Autant dire dès lors que les cévennes, avant d’être une réalité géographique plus ou moins élastique, sont en priorité une religion, un mythe, un état d’esprit, un souvenir. Et peut-être surtout une impuissance.

C’est beau, non ?

Une seconde raison complique encore le problème. La cévénolité (néologisme inventé à l’instant par votre serviteur) semble en effet constituer une qualité qui vous hisse très haut dans la hiérarchie imaginaire des peuples français. Un cévenol, ce serait un peu comme un corse ou un basque : un personnage haut en couleurs, fort de caractère, typique (de quoi ?), en tout cas à part du troupeau des gens ordinaires. Pourquoi ? Sans doute parce que le terme de « Cévennes » véhicule des images très fortes en terme d’Histoire (les camisards, la résistance, etc…), de paysages forts (les gorges du Tarn, les crêtes schisteuses, le granite du Mont Lozère…), de gastronomie (la châtaigne, le pélardon, les champignons…), de climatologie (les fameux « épisodes cévenols ») et bien sûr de culture et de religion (les protestants) – autant de clichés sur lesquels se sont forgées les types de Cévennes énumérés au paragraphe précédent. S’affirmer comme cévenol permettrait peut-être de se revendiquer de cet héritage très remarquable ? Conséquence directe : au sein d’une vaste et indéfinissable zone du sud-est de la France, tout le monde veut en être ! On peut lire la mention « cévenol » sur le fronton de magasins (genre « A la brocante cévenole », « Les caves cévenoles », « Pompes funèbres cévenoles »…) depuis Aubenas en Ardèche jusqu’au Vigan dans le Gard en passant par Marvejols au nord de la Lozère… Pour un peu, toute la France serait cévenole !

Toute tentative de définition des Cévennes est donc, par nature, vouée à l’échec, car elle déplaira forcément à ceux qui en seront exclus, mais aussi à ceux qui en feront partie mais trouveront qu’elle intègre des zones qui ne le méritent pas. On marche donc sur des œufs !

Cependant, consacrer un site aux Cévennes sans aborder cette question serait absurde. Et je ne voudrais pas me priver d’apporter comme tout le monde ma pierre à la réflexion ! Je vais donc me lancer, mais pour ne fâcher personne, je vais en donner plusieurs définitions, plusieurs contours. L’honnêteté intellectuelle m’oblige à préciser que parmi celles-ci, certaines dénominations et délimitations sont communément reconnues aujourd’hui, alors que d’autres me sont strictement personnelles, teintées parfois d’une mauvaise foi flagrante !

La minuscule « Cévenne des Cévennes »

Pour certains puristes, les seules « vraies de vraies » Cévennes constituent un territoire très restreint, limité aux trois grandes vallées schisteuses qui descendent de la ligne de crête joignant le somment appelé « Signal du Ventalon » (au dessus du col de Jalcreste) à l’Aigoual, en passant par le plan de Fontmort, Barre des Cévennes, la can de l’Hospitalet. Ces trois vallées s’appellent, du nord au sud :

  • La vallée longue. Elle abrite entre autre les villages de Saint-Frézal-de-Ventalon, Saint-Martin-de-Boubaux, Saint-Privat-de-Vallongue (du nom de la vallée).
  • La vallée française, qui abrite entre autre Saint-Martin-de-Lansuscle, Sainte Croix vallée française, Saint Etienne vallée française…
  • La vallée borgne, au fond de laquelle se trouve Saint-André-de-Valborgne.

Ce petit territoire, essentiellement situé dans le département de la Lozère, est très homogène d’un point de vue paysager, humain et culturel. Entièrement creusé dans le schiste, c’est un pays très escarpé, présentant un fouillis inextricable de vallées secondaires, de petits cols menant à des endroits perdus… L’homme y est rare, regroupé en hameaux minuscules isolés sur de versants couvert de châtaigniers et de chênes verts (on est en climat méditerranéen), strié de bancels (les terrasses agricoles). On est là dans « la Cévenne des Cévennes », comme disait (paix à son âme) l’écrivain et conteur cévenol Jean-Pierre Chabrol. C’est une Cévenne de légende, de littérature, de pureté.

Les vraies Cévennes

On entend parois définir les « vraies » Cévennes comme celles du schiste, du châtaignier et du protestantisme réunis. La « Cévenne des Cévennes » décrite ci-avant présente ces trois caractéristiques de manière indéniable, mais d’autres zones alentour peuvent elles aussi les revendiquer, et elles se sont empressées de s’auto-dénommer « Cévennes » à leur tour. Ce qui n’est pas absurde, car le cumul de ces caractéristiques géologique, culturale et culturelle confert en effet à ces territoires une très grande ressemblance avec la zone-mère, tout en ouvrant largement la surface disponible à de nouvelles régions candidates : la vallée du Tarnon, (Vébron, Rousses…), de la Mimente (Saint Julien d’Arpaon), la Capcèze, la vallée de Valleraugue…

Les grandes Cévennes

Mais il en fallait plus pour contenter tous les amateurs de Cévennes, qui sont également définies comme « les contreforts sud-est du massif central ». Depuis Béziers jusqu’à Lyon ou presque, les horizons nord et ouest de la plaine du Languedoc et de la vallée du Rhône apparaissent bouchés par ce qui ressemble à une chaîne de montagnes de près de 360 kilomètres de long. Mais derrière la ligne de crête, point d’autre plaine, l’altitude reste élevée sur plus de 200 kilomètres. C’est le Massif Central. Cette vieille montagne présente un profil très asymétrique. Depuis le Limousin à l’ouest ou les Combrailles au nord, elle s’élève très doucement, ne donnant jamais de grands dénivelés. Arrivée à ses altitudes maximum, entre 1400 et 1800 mètres, elle se maintient quelques temps, et puis tout d’un coup, tombe comme une pierre jusqu’au niveau de la mer ou presque, générant ces versants de plus de 1000 mètres, si impressionnants : le versant sur de l’Aigoual, les vallées cévenoles, le versant est du Mont Lozère et des Monts d’Ardêche.

Cette nouvelle définition des Cévennes augmente considérablement la surface disponible, empiétant largement sur les départements voisins de la Lozère : l’Ardèche, le Gard, l’Hérault, mélangeant allègrement le schiste des origines avec le calcaire des garrigues et le granite de l’Aigoual et du mont-Lozère, faisant cohabiter protestants et catholiques. Cette zone hétéroclite du point de vue de la géologie conserve cependant une certaine homogénéité paysagère : partout on y retrouve les vallées profondes, les versants escarpés couvert d’une végétation dense, opaque au promeneur qui ne sait pas y détecter les chemins. De mon point de vue, ce n’est pas une si mauvaise définition.

Les très grandes Cévennes

Mais il fût fait encore plus fort. On avait étendu les Cévennes vers le sud et le nord, pourquoi l’est et l’ouest en resteraient-il écartés ? Dans certaines de leurs appellations d’aujourd’hui les Cévennes englobent parfois des territoires d’aspects radicalement différents : une partie des grands Causses (Méjean, Sauveterre) d’un côté, et de vastes portions de plaine de l’autre.

Jean Carrière, encore lui, nomme ce territoire le Haut Pays : Le Haut-Pays – dont la porte est Anduze […] et qui va jusqu’au fin fonds de l’Aubrac, en passant par les Cévennes encadrées de leurs deux bastions granitiques, le Lozère et l’Aigoual, et l’ensorcelant moutonnement des Causses […] est le « bord mystérieux du monde occidental » (Jean Carrière, le nez dans l’herbe, P.147)

L’ensemble représente un territoire très vaste (100 km x 100 km) et surtout très hétérogène paysagèrement et culturellement. Les immensités presque plates et dénudées des causses sont peuplées de moutons et de catholiques, les autres immensités moutonnées et glaciales du Mont Lozère sont peuplés de protestants et de vaches laitières, les chaudes vallées cévenoles sont peuplées de chèvres, de protestants, de néo-ruraux et de châtaigniers. Quant aux gorges du Tarn, elles sont presque uniquement peuplées de touristes entre le 15 juillet et le 15 août.

Ce sont bien elles, les Cévennes, que l’on aperçoit au dessus des immeubles de la grande Motte, sur les bords de la Méditerranée

Mes Cévennes à moi

Pour s’y retrouver dans ce dédale de définition, il n’est d’autre solution que d’inventer la sienne, de fixer ses propres limites. J’invite chacun à le faire. Mes Cévennes à moi, très humblement, constituent un territoire qui est tout simplement centré sur l’endroit où j’habite. Elles englobent les 3 vallées historiques (qui débutent à 3 kilomètres d’ici), le Mont-Lozère, le Causse Méjean (qui me présente sa face sombre de l’autre côté de la vallée), et le Mont-Aigoual, dont j’aperçois les 2 tours jumelles dépasser de la crête d’en face lorsque je monte sur mon toit. Le tout forme un espace patatoïde d’environ 30 km de diamètre autour de mon nombril. C’est mon univers habituel, celui que je parcours régulièrement pour des raisons personnelles ou professionnelles.

Au delà commence le reste du monde.

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