D’abord, il y a la forêt. Elle enserre la montagne sur tous ses versants. Pas question d’atteindre le cœur du massif sans de longues traversées ombragées. Mais attention : ce n’est pas de la forêt sèche et épineuse des vallées cévenoles dont il s’agit ici, ni même de la pure forêt de pins de certaines zones du Mont Lozère ou des Causses… Non, dans les forêts du Mont Aigoual, on trouve du Hêtre, cet arbre des régions humides, si rares par ici. La présence de cette espèce en ces lieux découle de plusieurs raisons bien spécifiques qui seront sans doute contées dans ces pages un jour ou l’autre. En attendant, elles lui donnent une ambiance nordique dépaysante à 60 kilomètres de la Méditerranée.
Il faut presque atteindre le sommet pour quitter cet univers vert et émerger enfin au dessus du monde, sur le vaste plateau sommital. Oh, évidemment, le sommet de l’Aigoual ce n’est pas les Grandes Jorasses. On y arrive en voiture, on peut s’y installer en terrasse pour siroter un coca, le musée de la météo y est ouvert toute la saison touristique, et les deux tours de télécommunications y rendent visible de très loin et en toute saison la présence humaine.
Pourtant, malgré l’altitude modeste du lieu, un alpage d’altitude comme on peut en rencontrer 500 mètres plus haut dans les Alpes ou les Pyrénées y prend ses aises. Et la comparaison ne s’arrête pas là. Dès les premières chaleurs, les habitants de la plaine montent en rang serré prendre la fraicheur sur les pelouses, sortant les tables et chaises de camping au long des derniers lacets. Mais gare, car dès le milieu du mois d’août, cette période de douceur prend fin et rapidement le froid, le vent et la neige déferlent sur le plateau. Le givre et le verglas y prennent alors des formes incroyables qui inspirent des histoires drôles ou terribles. C’est le lieu de tous les records météorologiques nationaux. Presque 2000 mm de pluie par an, des vents à 150, 200, voire 300 kilomètres-heure, de la neige en plein mois d’août, 10 mètres de cumul durant l’hiver 1995 / 1996… Les 1557 petits mètres d’altitude de ce sommet sont terriblement trompeurs, on peut y mourir dans la tourmente aussi sûrement que sur l’arête des Bosses au mont Blanc.
J’avais rêvé de vivre au cœur d’un massif pyrénéen ou alpin. C’est vers les Cévennes que la vie m’a porté, et je ne le regrette pas : sur le mont Aigoual, ce « géant » local, et son frère d’en face, le mont Lozère (1699 m), je retrouve parfois des sensations étonnamment proches de celles de la haute montagne, qui me permettent de patienter entre deux évasions en altitude.
Le sommet de l’Aigoual est sans doute l’un des très rares belvédères de France desquels on peut, à l’occasion de journées d’hiver exceptionnellement claire, apercevoir simultanément le Canigou, qui verrouille la chaîne Pyrénéenne, les Alpes du sud, et les plus modestes sommets du massif central. Le tiers de la France, dit-on. Je le crois volontiers.
Oui, l’Aigoual est plus petite des hautes montagnes françaises (à moins que ce ne soit l’inverse ?)
Et puis, à l’Aigoual, il y a tout un tas de curiosités étonnantes. Même les bâtiments font partie de l’intérêt du lieu. L’observatoire, ce bâtiment baroque perdu dans les pelouses d’alpage, c’est quand même quelque chose ! On y imagine encore des scientifiques barbus effectuant leurs mesures dans des conditions démentielles, pour l’intérêt de la science ou pour leur propre besoin de faire des choses un peu folles ?
Alors, pour peu qu’on s’intéresse aussi à des ingénieurs forestiers du XIXème siècle aux projets dantesques, à des rivières qui s’appellent « Bonheur » ou des gouffres qui émettent le bruit d’un troupeau de bœufs qui brament, oui, il y a à l’Aigoual de quoi passer beaucoup de temps à vagabonder, vraiment.