Voir aussi l’itinéraire de balade « Les étranges grottes de la can de l’Hospitalet«
Il est des lieux qu’au premier regard on devine… chargés. Riches d’histoires terribles et merveilleuses que l’incommensurable distance des années fait parfois oublier mais qui sont prêtes à ressurgir à la moindre évocation. Des lieux si pleins de légendes qu’il peut à tout moment s’en écrire de nouvelles, vieilles comme le monde dès leur naissance.
Baume dolente est de ces lieux. Cachée au fin fond d’une petite vallée profonde retirée du monde, elle continue, siècle après siècle, d’attirer les hommes en quête d’insaisissable.
Son accès même distille le secret et la discrétion. Des trois itinéraires possibles pour l’atteindre, le premier qui arrive du haut est si escarpé que seuls les amateurs de fonds de culottes râpés peuvent l’utiliser, autant dire personne. Le second, qui vient à flanc, est plus facile mais son entrée est gardée par un propriétaire bougon qui aime sa tranquillité et décourage les plus émotifs. Le troisième, qui suit le fonds du vallon pour se redresser lorsqu’il aborde les rochers, est celui de l’Histoire. Depuis des siècles furtivement parcouru par des ombres désireuses de se faire oublier, il a peu à peu pris lui-même des allures de chemin de traverse, au tracé indécis et aux détours faits pour égarer les étrangers.
Il s’avance sous une forêt basse et humide comme il n’en existe guère dans ce pays de sécheresse. Les lichens, champignons et autres mousses couvrent les arbres sur toute leur surface, leur donnant des airs de pays étranges et minuscules à la géographie vaguement inquiétante.
Lorsque les nuages accrochent la montagne, la lumière baisse dans le sous-bois et l’on croit entendre de l’eau ruisseler des troncs et des houppiers pour se perdre dans les méandres d’un sol spongieux.
Et l’on a beau, tout en s’approchant, scruter la falaise qui émerge du couvert végétal, rien ne trahit la présence de la grotte. Il faut presque avoir le nez dessus pour que se révèle soudain le vaste porche, en contrebas du sentier, caché par les frondaisons qui s’avancent jusqu’à toucher le rocher. On reste alors un moment immobile, impressionné par la majesté des lieux.
D’énormes rochers broyés jonchent le sol de toute part, spontanément le regard inquiet monte vers le plafond, et s’interroge sur la résistance de cette masse de pierre suspendue au dessus des têtes. D’autant que, si vous observez attentivement la forme générale de la première partie de la grotte, vous constaterez facilement que toute la paroi de droite (lorsque l’on regarde vers le fond), n’est pas une paroi de roche en place : c’est un colossal éboulement de la falaise qui a refermé ce qui n’était probablement qu’une avancée de la falaise. A quelle époque ce cataclysme s’est-il produit ? Des hommes y ont-ils assisté ? Voilà quelques questions auxquelles j’aimerai pouvoir répondre.
A fleur de sol, en provenance du fond de la grotte, le lit d’une rivière, avec ses petits cailloux tout ronds bien reconnaissables. En été il n’y a pas d’eau, mais aux saisons plus humides un filet d’eau s’écoule, né des infiltrations du plafond. Dans les saisons de fortes pluies, des remontées d’eau de la rivière souterraine de Baume Dolente 2 y font couler un torrent qui peut être abondant.
Un porche vaste et confortable, presque toute l’année alimenté en eau courante… De quoi accueillir une petite famille d’hommes préhistoriques. On a effectivement trouvé des traces d’occupation de diverses époques dans la grande galerie : quelques tessons de poteries aux curieuses décorations en « graines de melons » datant du début de l’âge des métaux, et des traces de cuisine (rac, p.42). Mais assez peu de choses somme toute, et rien qui témoigne d’une occupation importante et durable. Peut-être est-ce dû aux réguliers effondrements de la voûte, qui au cours des millénaires auraient recouvert les foyers et les ateliers ? Peut-être sont-ces les crues qui, chaque hiver, après avoir fait monter le petit lac souterrain tapi dans le sombre silence des profondeurs, gonflent le ru qui court à fleur de sol jusqu’à le faire dégueuler avec fracas hors des ténèbres, balayant tout sur son passage ? A la vérité, si baume dolente constitue souvent un lieu d’accueil et de protection, l’enfer peut s’y déchaîner et en chasser ou tuer tout occupant qui s’acharnerait à y rester dans les mauvais moments.
A la fin des âges des métaux, les hommes se sont éloignés des grottes pour leur préférer des habitats de surface. Aucune trace dans Baume Dolente ne permet effectivement de témoigner de présence humaine dans les périodes suivantes. Il faut attendre la fin du XVème siècle, dans la folie inquisitrice qui embrasa les Cévennes pour en éliminer les protestants, pour ce lieu connu de toujours par les habitants des environs mais trop loin de tout pour être surveillé par les armées du roi, fut remis à l’honneur.
L’histoire raconte que plusieurs des premières assemblées secrètes de protestants s’y tinrent, dont une fameuse en 1689, au moment de l’attaque de la garnison de Florac. Cette attaque échoua, mais préfigurait les grandes manoeuvres de la guerre des camisards, quelques années plus tard.
L’Histoire garde trace d’une autre assemblée, conduite en avril 1698 par le prédicateur Roman, qui fut surprise… Plusieurs évocations de cet événement en donnent des détails divergents. Selon certaines sources, cinq homme auraient été envoyés aux galères et trois femmes à la tour de Constance. Selon d’autres, seule une jeune fille en aurait réchappé et aurait ainsi pu raconter son aventure par la suite. D’après certains, c’est à la suite de cette assemblée que la grotte, « désolée » de ne pas avoir pu protéger ceux qui lui avaient fait confiance pour s’y cacher, aurait reçu son nom de « dolente ». Mais ailleurs, j’ai lu que le nom proviendrait du fait que des gouttes d’eau tombent de sa voûte, comme si la grotte pleurait. Ce lieu génère décidément beaucoup d’approximations, de rêve et d’invention.
Dans la mémoire des protestants, Baume Dolente vient se ranger aux côtés des grands sites mythiques comme l’Hospitalet, un peu plus haut sur la can… Ici comme là-haut, l’envie de commémorer ces heures sombres et riches a travaillé les hommes en quête de sens. Le 25 août 1901, un rassemblement s’est tenu sous la voûte multimillénaire, rassemblant dames en robes et hommes en costumes du dimanche, chapeaux tenus à la main, autour du pasteur Alcais.
Ce ne fût qu’une fois unique hélas (bien que certains autres témoignages évoquent une assemblée en 1906), peut-être à cause de la difficulté d’accès du site ? Aujourd’hui ils sont encore quelques uns à faire le pèlerinage dans la solitude et le silence, et peut-être est-ce mieux ainsi…
Certains hivers, lorsque la température de l’air se maintient assez longtemps au grand froid, il gèle jusqu’à quelques dizaines de mètres à l’intérieur de la grotte. Les infiltrations d’eau sortant du plafond gèlent en stalagmites de glace qui croissent jour après jour sur les pierres jonchant le sol. Le contrejour éclairant par transparence ces statues immobiles fait naître sous nos yeux émerveillés une reconstitution étrange et artistique de ces assemblées du désert. Le pasteur est debout à droite. Les ouailles se sont réparties autour de lui et écoutent la bonne parole.
Progressivement, le porche réduit son diamètre et se prolonge par une galerie qui part à l’horizontale, perpendiculairement à la falaise. En s’y avançant, on entend décroître les bruits de l’extérieur, pour rester seul avec soi-même.
En 1944, pourtant, le fracas a régné ici. Quelques membres du maquis d’Ardailhès venaient dans ce lieu retiré pour s’entraîner à tirer à la mitraillette sans attirer l’attention. Plus tard, le groupe a rejoint le maquis de l’Aigoual…
Là, à quelques dizaines de mètres de l’entrée, un petit lac souterrain étale ses eaux tranquilles… Enfin, soyons honnête, je ne l’ai vu qu’une fois en eaux, à l’occasion de ma première visite à la grotte, vers l’année 1994. Depuis, la sécheresse grandissante l’a progressivement fait baisser de niveau. Aujourd’hui, il est totalement inexistant la plus grande partie de l’année, retiré au delà d’une étroiture que l’on peut voir au fond de la cuvette vide, au bas d’une drôle de pente sablonneuse.
Les plus aventureux ont tôt fait de dévaler ce toboggan naturel et de se laisser glisser sous la voûte rocheuse pour pénétrer dans une toute petite salle au fonds de laquelle scintille un peu d’eau… le voilà donc, ce lac, plusieurs mètres en dessous de son niveau habituel. Une observation attentive permet de comprendre que la voûte, qui s’enfonce sous le niveau de l’eau, semble toutefois laisser libre un étroit passage… l’eau arrive par là, c’est un siphon, il y a « quelque chose » derrière, une prolongation de cette grotte.
Il existe toujours quelque part des gens très curieux et très téméraires à la fois. En 1983, une petite équipe (J.C.Chouquet et P. Penez) a plongé ici pour la première fois. Les eaux étaient boueuses, d’une opacité totale. A tâtons, traînant derrière eux un « fil d’Ariane » (que j’ai encore pu voir trainer en 2000, presque 20 ans plus tard) pour retrouver leur chemin, ils disparurent dans l’obscurité et finirent par forcer le passage… après quelques mètres, la voûte remonte et la galerie émerge à l’air libre.
500 mètres de galerie ont été explorés à cette époque, mais le silence est retombé sur le réseau qui continuait pourtant. Finalement, en 2006 les plongées ont repris, cette fois menées par Laurent du spéléo club de Florac et un plongeur de la plaine… J’ai assisté à la scène et je ne suis pas prêt de l’oublier. Résultat : deux siphons successifs d’assez grande taille (60 mètres de long pour le premier), des kilomètres de grandes galeries, et ça continue, en direction probablement de Montgros (voir plus loin), il faudra attendre encore un peu pour en savoir plus.
Baume dolente a encore bien des secrets à livrer. En 1976, à quelques kilomètres de là sur la can de l’Hospitalet, une équipe de géologues déverse un « traceur » dans l’aven de Montgros. Cette manipulation permet de suivre à la trace les eaux qui s’y engouffrent… surprise : selon les conditions météo l’eau ressort dans deux grottes distinctes : Tartabisac, près du Pompidou, sur le versant méditerranéen de la can, et… Baume dolente, sur le versant atlantique. Une même eau peut donc, au gré de quelques pluies supplémentaires, commencer ici un voyage vers deux mers différentes ! Voilà qui confirme en tout cas qu’un passage existe, au moins pour l’eau, et peut-être pour les hommes.
Et si, par le passé, le passage avait été praticable ? Et si les hommes du néolithique, les camisards du XVIIème siècle et les brigands de toutes époques avaient choisi ce porche justement parce qu’il donnait accès à d’autres lieux, permettant une sortie discrète en cas de visite inopportune ? Il y a là de quoi rêver encore longtemps.
Petite curiosité que peu de gens connaissent : baume dolente possède une seconde sortie. Hé oui ! Certes pas aussi grande que le porche principal, mais tout de même. A une vingtaine de mètres de l’entrée, dans la paroi sud (constituée par l’éboulis original), un couloir part entre deux blocs. Il se rétrécit puis s’arrête en quelques mètres, mais il est possible ensuite de monter grâce à une courte escalade, puis de revenir en arrière, à une hauteur de 3 mètres environ, en utilisant une étroite bordure sur laquelle on peut poser les pieds. Une dernière pente raide mène à une ouverture extrêmement étroite à vrai dire, qui vous laissera au milieu d’une pente de buis délicieusement tiède…
Dernières nouvelles : en 2022, une partie du porche d’entrée s’est effondré. Entrer est toujours possible, mais il faut contourner un tas de blocs et de terre mélangés. Fini le porche assez large pour accueillir une assemblée du désert. C’est la fin d’une époque !
Merci à Daniel André, aux membres du Spéléo Club de Florac, et à tous les gens qui m’ont apporté de l’information sur Baume Dolente