Que je te plains, lecteur, car cette fois je vais te chanter les louanges d’une merveille qui te sera à jamais inaccessible. En vérité, mes yeux l’ont bien vue, pourtant, cette forêt pétrifiée, mais elle fut éphémère, et n’offrira plus ses charmes à aucun être vivant sur cette Terre ni aucune autre.
Au delà de Ruas, une vieille conduite forcée destinée à quelque mystérieux travail d’irrigation tombe presque verticalement du Mont Lozère pour disparaître dans une ravine encaissée qui ne mène nulle part. Depuis quelques années la rouille était à l’œuvre, et ouvrait des trous dans l’épaisseur de métal. Des jets d’eau de plusieurs dizaines de mètres de haut étaient apparus les uns après les autres, dans l’apparente indifférence du propriétaire de l’ouvrage qui semblait prêt à partager ce précieux liquide avec qui en voudrait. Toute la forêt en contrebas en était arrosée en permanence.
Cette année, l’hiver sec avait à peine blanchi les Et l’eau des jets avait commencé à geler sur les arbres et sur le sol. Une immense tâche blanche est apparue dans la montagne, visible de loin. Bien peu ont semble-t-il parcouru les quelques centaines de mètres de marche pour rejoindre cet endroit étrange, et mal leur en a pris car l’ambiance du lieu valait l’effort.
L’épaisseur de la glace était bientôt devenue telle qu’elle avait dépassé l’épaisseur des arbres eux-mêmes, et que le bois s’était transformé en un paysage de stalagmites glacées dispersés sur un inlandsis irrégulier. La balade au milieu de cette forêt pétrifiée, chaussé des crampons et armé du piolet, m’a laissé un souvenir impérissable.
L’année suivante, les fuites du tuyau ont été réparées.
La conduite forcée alimente une microcentrale électrique juste en dessous.