Magnifique découverte pour ML, notre infatigable chercheur – coureur de Cévennes (on connaît depuis longtemps ses travaux révolutionnaires sur la géologie et la paléontologie des Cévennes). Sa ténacité l’a amené à donner un sens nouveau à des faits pourtant connus de tous depuis des siècles. Mais ne brûlons pas les étapes. Voici l’introduction de l’article qu’il a signé dans la prestigieuse revue Anthropological and gastronomical science d’avril 2022.
***
A la fin du paléolithique, 10.000 ans avant l’époque actuelle, un petit million d’Homo Sapiens erre à la surface de la planète, regroupés en clans légers et mobiles. Ce sont des chasseurs – cueilleurs nomades. Lorsqu’ils découvrent un territoire accueillant, ils s’y installent pour un temps, grappillant autour d’eux ce dont ils ont besoin pour vivre. Lorsqu’une ou plusieurs ressources vitales sont épuisées, ils lèvent le camp et recommencent un peu plus loin. C’est une vie simple, pas malheureuse aux dire des témoins qui ont bien voulu nous la raconter.
Pourtant, pour des raisons pas totalement claires, durant les quelques milliers d’années qui vont suivre, (période appelée le mésolithique), les humains vont changer de stratégie. Au lieu de courir le monde librement et de profiter de ce qu’ils trouvent sur leur chemin, ils vont progressivement arrêter leur errance et s’installer durablement en des lieux choisis. Sacrée évolution, qui va nécessité de repenser intégralement les savoir-faire : ils vont devoir apprendre à fabriquer des habitats en dur, ils mettront en place de nouvelles organisations sociales… Mais surtout, il devront apprendre à produire sur place ce dont ils ont besoin, pour ne pas épuiser les ressources locales.
Dit comme ça, ça semble facile, mais en vrai c’est vachement compliqué quand on s’est toujours contenté de tendre la main pour récolter les baies offertes par des arbustes généreux. En peu de mots : il faut inventer l’agriculture. Repérer les espèces animales et végétales les plus intéressantes pour se nourrir et produire tout ce qui est indispensable à la vie, apprendre à les élever ou les faire pousser, puis les sélectionner générations après génération pour les rendre encore plus intéressantes, plus productives. Comprendre comment traiter le sol pour qu’il ne meure pas d’épuisement… Beaucoup, beaucoup d’inventions incroyables allaient de ce fait advenir durant ce mésolithique. J’aurais bien aimé en être !
Pour vivre, un humain a besoin de consommer en quantités importantes des lipides, des glucides, des protéines et en micro-quantités tout un tas de choses précieuses comme les sels minéraux, vitamines, etc… Un peu partout dans le monde, pendant le processus de néolithisation, les Hommes ont donc cherché et domestiqué les plantes et animaux susceptibles de leur apporter ces éléments nutritifs. Selon les végétations, les sols et les climats locaux, les solutions trouvées ont été diverses, mais reposaient pour la plupart sur un assortiment de céréales (pour les glucides), légumineuses ou produits animaux (pour les lipides et protéines), accompagnés de produits secondaires pour le reste.
Ce processus s’est déroulé quasi-simultanément en six parties du monde, six « foyers de néolithisation », chacun ayant développé un cortège de production agricole spécifique, qui allait devenir culturel.
Comme on le voit sur le schéma ci-dessous, « notre » néolithique à nous, les occidentaux d’Europe, a démarré dans le croissant fertile, où vers – 9000 ont été domestiqués les ovins, caprins, le blé, l’orge et les lentilles, qui sont ensuite arrivés dans le sud de la France vers -6000.
Ça, c’est ce que l’on croyait avant.
Le présent travail de recherche a permis de mettre au jour un phénomène de néolithisation tardive de grande envergure, resté inconnu jusqu’ici. Celui-ci a démarré au Xème siècle après JC, dans les vallées cévenoles, avec la domestication à grande échelle du châtaignier, qui allait fournir le socle d’un régime alimentaire radicalement nouveau. L’apport en glucides étant assuré, les cévenols se sont ensuite préoccupés des protéines et des lipides, en développant l’élevage de chèvres et en inventant une recette de fromage proprement révolutionnaire en terme de richesse nutritive et de qualités gustatives : le Pélardon. Quand aux vitamines, sels minéraux et autres oligo-éléments vitaux, ils sont apportés, et c’est là la particularité incroyable de ce septième cortège alimentaire néolithique, ni par une plante ni par un animal, mais par le royal représentant d’un ordre à part : le Cèpe, le bon Cèpe de nos montagnes. Sauvage, qui plus est, rétif à toute culture.
Châtaigne, Pélardon, Cèpe : voilà le régime néolithique cévenol.
Comme ses six frères, il va maintenant essaimer pour nourrir l’Europe occidentale toute entière, et peut-être même partir à la conquête du monde, car il faut bien l’avouer, c’est quand même hyper bon tout ça, bien plus que les trucs proposés par les autres !
***
Ainsi se termine l’introduction de cet article de ML qui fera, on n’en doute pas, date dans l’histoire de l’anthropogastronomie cévenole. Mais l’affaire ne s’arrêtera pas là, soyons-en certains. Cette découverte décoiffante ouvre en effet à son tour sur une non moins passionnante interrogation : pourquoi la néolithisation cévenole a t-elle démarré 8000 ans après les autres ? On n’est quand même pas des arriérés tout de même ! ML, jamais à cours d’idées, avance déjà une hypothèse : les néolithisations précédentes n’auraient été que des essais, des tentatives expérimentales pour mettre au point les processus. La néolithisation cévenole serait ainsi la vraie, la définitive !
ML va mettre au travail plusieurs étudiants du labo de Foyernéolithicologie pour confirmer cette hypothèse enthousiasmante. Nous vous tiendrons naturellement au courant dans ces pages.
Les Cévennes ! Septième merveille du monde Néolithique quoi !
Heureusement contrairement au phare d’Alexandrie Alexandra, elles sont toujours debout avec leurs châtaignes, leurs cèpes et leurs pelardon. Et contrairement à Claude François ML reste branché mais bien vivant.