S’il est justement une question à laquelle il n’est pas possible de répondre simplement concernant les Cévennes, c’est bien celle-là. Pour tourner la difficulté on pourrait employer le terme de « diversifié ». Voilà, c’est ça. Les Cévennes, elles sont diversifiées.
La ville de Florac, qui s’enorgueillit d’attirer beaucoup de touristes, a pris la peine de réfléchir à un slogan qui donne envie : « Le carrefour de la pierre et de l’eau ». Ça n’est pas mal vu car ce bourg est effectivement situé aux confins de trois régions géologiques totalement différentes : le Mont Lozère et le Mont Aigoual sont en granite, les « vraies Cévennes » sont en schiste, et les causses sont en calcaire. Trois roches, trois types de paysages, trois agricultures, trois cultures, trois mondes…
Le calcaire a généré ici d’immenses plateaux au relief peu marqué, de loin en loin profondément entaillés par des gorges. Autrefois boisés ils sont aujourd’hui pour l’essentiel dénudés, la pierre apparaît presque partout, la culture est possible en de rares endroits seulement, les moutons arrivent à y trouver, en pâturage extensif, une maigre pitance dont l’absorption leur permet de produire un lait peu abondant mais d’excellente qualité qui part vers l’Aveyron pour être transformé en Roquefort.
Le granite donne également lieu à des reliefs peu marqués, vastes épaulements arrondis desquels émergent des chaos rocheux aux formes étranges et multimillénaires. Ici l’eau ne s’infiltre pas : elle reste en surface, apportant au pays une verdeur qui achève de faire la différence avec les causses. Les reines du lieu sont les vaches, elles nous donnent peu de lait, mais hélas pour eux leur viande. Les humains, quant à eux, sont rares et dispersés en hameaux frileux qui se pelotonnent contre leur clocher de tourmente destiné à rappeler vers la vie les imprudents qui se seraient laissés surprendre dehors dans les blizzards glacés.
Le schiste, quant à lui, est une roche nerveuse qui part en éclats acérés. Les vallées cévenoles sont à la même image : tortueuses, déchirées, mouvementées… Incroyable dédale naturel, de tous temps utilisé pour se cacher de l’ennemi, qu’il soit catholique à l’époque des camisards (encore aujourd’hui, les protestants sont largement majoritaires sur ce territoire), allemand à celle des maquisards… Heureusement, situées au sud-est de la ligne de changement climatique (quelques petits kilomètres font toute la différence), elles sont déjà en territoire méditerranéen : le climat y est chaud, la végétation en bonne partie composée de chêne vert (qui est ici chez lui) et de châtaignier (qui a été planté mais qui s’est bien plu). Les serres (arêtes rocheuses émergeant de la végétation) sont le territoire de prédilection des chèvres, que les néo-ruraux comme les anciens exploitent pour fabriquer le Pélardon.
Trois roches, trois mondes. A quelques kilomètres les uns des autres. Circuler en Cévennes donne le tournis, et pas seulement à cause des virages.
On pourrait cependant trouver des points communs entre ces trois zones, expliquant l’étrange unité qui somme toute les tient unies.
Il y a d’abord la rudesse et la sauvagerie des paysages et du climat. Ici, l’hiver c’est l’hiver, même dans les vallées cévenoles. Ici, la montagne est un obstacle partout. Il y a aussi cette étrange combinaison d’omniprésence et de rareté de l’homme : ils sont peu, mais ils sont partout. Chaque rare pouce de terrain utilisable est utilisé, ou du moins a été utilisé, travaillé, aplani…
Quoi encore ?