Ce texte figure dans le livre « Sacré mont Blanc » (2020)
Juin 1989, itinéraire des Grands Mulets
Encore quelques jours d’efforts, le temps de boucler les exam’s, et j’en aurai terminé avec ma Maîtrise de Sciences et Techniques de l’Environnement. Au programme des prochains jours : vendredi après-midi, oral d’écologie. Ca devrait aller. Lundi matin, écrit de microbiologie. Mmmh… pas ma spécialité, ça ! Entre les deux épreuves il y a tout juste 60 heures, logiquement et raisonnablement dévolues au repos et aux ultimes révisions. Eh bien non, ça ne se passera pas comme ça !
Vendredi
18h00. Train pour Paris.
22h00. Train de nuit pour Chamonix… sans couchette, bien sûr. Nous sommes des étudiants, quand même !
Samedi
10h00. Arrivée à Chamonix, déjà complètement décalqués. Au sortir de la gare la lumière de la montagne est crue, aveuglante. Derniers achats utiles, départ en petit train vers les bossons.
12h00. Premiers lacets vers la Jonction. Aucun entraînement physique, aucune acclimatation, tout le monde souffle.
14h00. 2000 mètres d’altitude, voilà déjà la neige. Plus basse et plus abondante que ce à quoi je m’attendais. On commence à enfoncer grave.
17h00. Arrivée à la Jonction. Repos rapide après ces trois heures de brassage éprouvantes. Traversée du glacier. Nous rejoignons la trace qui monte au refuge des Grands Mulets depuis le plan de l’Aiguille. Elle est pleine de skieurs, nous sommes les seuls piétons. On a l’air de c… Tout ce monde nous laisse sur place.
21h00. Arrivée au refuge. Les derniers skieurs sont arrivés depuis des heures, on est de vrais extraterrestres. Les jambes me font mal, mal. Plus de place dans les bas-flancs, on s’allonge dans la pièce de vie, dos par terre, jambes en l’air contre le mur pour calmer les crampes.
Dimanche
00h00. « Réveil »… au terme d’une période sans sommeil. Pas grave. Debout !
01h00. Cohue habituelle à la sortie du refuge. Nous partons les premiers. La neige est profonde, on brasse. Pfff. Quelques minutes plus tard, une interminable file de skieurs nous rattrape et commence à nous doubler allègrement, je les entends quasiment rigoler. Bientôt, leurs lumières s’éloignent dans la nuit. Nous voilà à nouveau seuls.
05h00 heures. Premières lueurs du jour à l’arrivée sur le grand Plateau. On est morts. Heureusement le temps, frais et calme, est idéal. Les pauses, de plus en plus longues, de plus en plus fréquentes, nous permettent au moins d’en profiter.
09h00. Arrivée au pied du refuge Vallot. Morts, morts, morts. Long repos. Redémarrage. La neige porte mieux sur l’arête, la progression devient moins inhumaine.
11h00. Arrivée à la grande Bosse. Incroyable d’être là quand même. Coup d’œil à la montre. Dans l’état où nous sommes, il y en a encore pour 2 heures. Si on continue, on rate le train du soir. Si on rate le train du soir, on rate l’exam’ de demain matin. Et si on rate l’exam’ de demain matin, on rate notre année… y a des fois où les choix, même douloureux, sont faciles à prendre. Direction la vallée.
13h00. Le mal des montagnes me prend brutalement en pleine descente, alors que nous sommes déjà sous les 4000. Bon Dieu, qu’est-ce qui m’arrive ? Plus de force, plus de volonté. Affalé dans la neige, j’attends la mort. Voilà des années que ça ne m’était plus arrivé, ce coup-là. Mes copains de cordée vont pourtant tout à fait bien. Ya pas de justice. Tant bien que mal je me traîne vers le bas. Ça finit par passer. Descente au pas de course dans les lacets de la Jonction.
17h00. Arrivée aux Bossons. Petit train jusqu’à Saint-Gervais. Grand train de nuit, direction Paris.
Lundi
02h00. Allongé à même le sol du compartiment, réveil brutal : les yeux me piquent horriblement. Ophtalmie des neiges. Pas assez porté les lunettes de glacier. Ben tiens !
09h10. Entrée (en retard) en salle d’examen, nez cramé, yeux plissés et larmoyants. Je m’assois, pose mes lunettes sur mon nez et essaye de me concentrer sur le sujet. Comprends rien. Dans mon pauvre esprit embrumé s’entremêlent des images d’arêtes et de crevasses. Mes pauvres membres épuisés irradient de sensations contradictoires. Autour de moi mes collègues de promo me jettent des regards bizarres.
Quelques jours plus tard…
8 sur 20.
Pas si mal !
Quelques photos de cette histoire débile