Ce texte figure dans le livre « Sacré mont Blanc«
Tandis que nous montons lentement vers le col du mont Maudit, un minuscule point noir apparaît au sommet du mont Maudit et commence à descendre vers nous. Malgré la distance, son comportement atypique attire notre attention. Il suit une trajectoire erratique qui semble serpenter aléatoirement sur la face immaculée. Il vacille de droite à gauche, comme s’il était ivre, et de loin en loin il se fige dans des poses incongrues, apparemment instables, mais il ne se flanque jamais par terre.
Interloqué, je le regarde approcher, et je peux bientôt le détailler à loisir : sa tenue est plus que rustique, une vieille gabardine fatiguée, des simples chaussures de randonnée usées, parfaitement inadaptées à la neige, une sorte de bonnet ethnique d’origine indéfinissable, mi-inca mi-russe. La goutte au nez, la bouche tordue par le froid. Drôle de touche ! Mais le gars à l’air en pleine forme, il sourit en venant à notre rencontre, et nous entamons la conversation d’usage, d’où tu viens, où tu vas, ce genre de choses. Au détour de son récit, il précise en secouant énergiquement la main pour souligner la force de ses propos :
« A la montée, rrho la la, je n’n’ai rien chié !!! »
Mon cœur ne fait qu’un tour. Cette expression, cet accent, je les reconnais immédiatement :
« Hé, t’es du Hav’, toi !
– Oh dais, toi aussi ? T’es de quel quartier ? »
Nous sommes quasiment voisins. Quand même, les parlers locaux, quelle carte d’identité !