Comment ne pas se poser cette question lorsque, après des années de balades en haute-montagne, on devient parent ? Partager cet univers avec ses enfants est une sorte de rêve, qui fait envie et peur à la fois.
Les enfants ont effectivement des limites physiques et psychologiques plus basses que celles des adultes. Cela n’empêche rien, mais nécessite impérativement de bien préparer l’enfant et le projet (selon l’âge), et de mener la balade d’une manière appropriée pour que tout se passe bien, et surtout… pour ne pas dégoûter l’enfant !
Je vous souhaite beaucoup de bonheur commun.
Les limites des enfants
Commençons par un petit rappel, sans doute inutile : les enfants ont des limites physiques et psychologiques plus basses que celles des adultes.
Les limites physiques.
C’est une évidence, mais il est intéressant de détailler un peu :
- Un enfant n’a pas la force d’un adulte. En particulier, il ne peut pas porter autant de charge.
- Un enfant n’a pas l’endurance d’un adulte, c’est à dire qu’il ne peut pas rester dans un effort très long (plusieurs heures) comme un adulte.
- Par contre, d’après ce que j’ai cru constater, un enfant a quasiment la même résistance (c’est à dire la capacité à maintenir un effort assez intense pendant un temps limité, par exemple 1 heure) qu’un adulte. Ceci, évidemment, s’il n’est pas chargé.
- C’est un fait scientifiquement établi mais sur lequel je ne m’étendrai pas car je ne suis pas spécialiste : les enfants sont plus sensibles aux effets de la haute altitude que les adultes. Il n’y a pas de limite d’âge précise, simplifions en disant qu’à 15 ou 16 ans un enfant a atteint sa pleine résistance, à 0 ans il est très sensible, entre les deux, il se construit tout doucement. Pour fixer les idées, je dirais qu’avec une acclimatation normalement soignée, un enfant de 10 ans doit pouvoir supporter de monter à 3500 mètres, il faudrait peut-être attendre 13 ou 14 ans pour monter à 4800 mètres.
- Enfin, un enfant supporte moins facilement la douleur. Il ne s’agit pas forcément ici de fortes douleurs (comme une blessure). Je pense en particulier au froid, à une petite plaie (ampoule…). Autant de choses qui ne font pas non plus plaisir à un adulte, mais avec lesquels il peut composer, contrairement à un enfant qui ressentira souvent ces petits malheurs comme des agressions terribles.
Tout cela est évidemment à nuancer selon l’âge… et les caractéristiques propres à chacun.
Les limites de la volonté
Pour résister à l’effort et à la souffrance (souvent présente lorsqu’on est en haute montagne), il faut de la volonté. Au cours d’une balade en montagne, cette volonté dépend de plein de choses :
- L’histoire personnelle de l’enfant, bien sûr. Certains vont dans la vie sans souci ni interrogation sur ce qu’ils y font, d’autres, sont plus hésitants… Il est important donc de bien connaître l’enfant que l’on va emmener.
- L’attente d’un plaisir à venir. Lorsque l’on est capable de comprendre que l’effort et la souffrance ne sont qu’un passage et seront récompensés par du plaisir, on a une volonté plus grande. Les enfants appréhendent moins bien cette équation que les adultes, probablement parce qu’ils n’ont pas encore assez vécu de situations souffrance -> plaisir.
- La motivation : qu’y a-t-il au bout de la balade : Quelque chose que l’enfant aime ? Ou quelque chose d’inconnu qui ne l’attire pas ?
En bref, pour résumer
S’il n’y a pas une motivation importante pour l’objet de la balade, et une pratique préalable de situations dans lesquelles un effort est nécessaire, la volonté de l’enfant peut tomber assez rapidement à l’apparition de la moindre petite souffrance. Ils ne trouvent alors plus de sens à leur présence, et n’ont plus envie de continuer.
Si on n’anticipe pas correctement les besoins physiques et mentaux des enfants, la fatigue, l’envie d’arrêter la balade, ou même la mise en danger, apparaîtront plus vite que pour un adulte . Par contre, si tout est fait pour les mettre dans des bonnes conditions, ils pourront suivre des balades étonnamment longues !
La préparation de l’enfant au projet
Emmener un enfant en haute montagne est possible, malgré des limites physiques et psychologiques plus basses que celles d’un adulte. Il faut simplement anticiper correctement les choses pour que l’enfant n’approche pas de ces limites. Exercice intéressant pour les alpinistes du Dimanche comme moi, qui ont tous souvenir, un jour ou l’autre, d’avoir entraîné un groupe dans la galère : brouillard, froid, itinéraire perdu, la tension qui monte, la peur qui commence à poindre son nez… Avec un enfant, une telle situation de doit tout simplement pas arriver. Pour ça, il faut tout revoir dans nos pratiques, dans nos exigences de préparation comme dans le rythme de la balade.
Voici quelques conseils issus de la pratique :
Créer l’envie, la motivation
- Commencez par emmener l’enfant sur des balades courtes, non exposées, mais motivantes. De belles pentes, utilisation de matériel spécialisé (crampons, corde…) même si ce n’est pas indispensable (ça fait pro).
- Lors de ces « sorties-motivation », mettez tout en œuvre pour que l’enfant n’en tire que du plaisir. Départ seulement si conditions météo excellentes. Pas de fatigue, pas de stress, si l’enfant commence à montrer des signes de désintérêt ou de peur, peut-être faut il faire demi-tour.
- Commencez à regarder ensemble les cartes, des photos, répondez à ses questions, demandez-lui ce qui l’attire le plus… rocher ? neige ? glace ? camper ? A partir de ces éléments, élaborez la balade suivante.
- Pour vos balades, posez vous toujours la question : qu’est-ce qui peut le (la) motiver à avancer ? un sommet ? une curiosité naturelle ? atteindre la neige ? S’il y a une carotte, tout sera plus facile…
Imaginez une balade motivante
- Choisissez un itinéraire varié et diversifié. Évitez l’immense versant de 1000 mètres sur lequel on passe 3 ou 4 heures devant la même vue, à faire le même geste. Choisissez un itinéraire composé de sections bien différentes : un court versant, une arête, passage d’un col, un talweg… la surprise permanente de l’enfant sera une motivation supplémentaire.
- Une idée d’itinéraire d’initiation : un sommet de moyenne montagne au printemps. La neige donne à n’importe quel sommet de 2500 m des allures de grand des Alpes. Pâques offre de beaux moments de soleil… le tour est joué.
Préparer une balade physiquement accessible
- Prévoir des étapes courtes. Cette notion dépend bien sûr de l’âge et de la condition physique de l’enfant (consultez le tableau récapitulatif ci-après). Pour un enfant de 10 ans, par exemple, le dénivelé ne devrait pas excéder 1000 m en basse altitude et 500 m en haute altitude (à partir de 3000 m). L’horizontale, pour un enfant peu chargé, n’est pas en revanche très problématique. 10 km se feront sans problème.
- L’enfant doit être chargé au minimum. L’idéal : juste de quoi boire et grignoter. Si vous partez plusieurs jours avec bivouac, le gros volume d’affaire à emporter imposera de mettre un peu plus sur le dos de l’enfant. Ne pas dépasser 3 ou 4 kilos (par exemple un duvet).
Blindez la sécurité
- Préparer un itinéraire peu engagé. Si le temps vire au mauvais, si un petit problème survient, la redescente doit être rapide et facile. Pas question de passer des heures dans le blizzard avec un enfant en terrain technique. Il faut pouvoir regagner un terrain « sécurit » (sentier…) en 1 à 2 heures rapides. Et si vous aviez à le porter ?
- S’assurer de conditions météo appropriées. Je pense pouvoir affirmer que les enfants craignent avant tout deux facteurs météo : le vent froid, et la pluie. Un enfant glacé par le blizzard ou mouillé par la pluie est souvent tétanisé par quelque chose qui ressemble à la peur de mourir ! La neige sans vent, le froid sans vent… sont beaucoup plus faciles à supporter dans l’effort. Je vous déconseille donc totalement de partir si les prévisions météo prévoient du vent ou de la pluie.
- En milieu exposé (glacier crevassé, rocher) je pense qu’il est raisonnable d’être au minimum 2 adultes expérimentés pour un enfant. Il doit être solidement encadré dans les passages techniques, pour sa sécurité, et aussi pour son moral.
Équiper l’enfant correctement
- Le matériel technique doit être en bon état, simple à utiliser, sans nécessiter de bricoler. Les chaussures doivent être de vraies chaussures de haute montagne, ça existe et ça se loue.
- L’équipement contre le froid doit être particulièrement performant : bon duvet si bivouac, vêtement chaud de corps particulièrement efficace (veste en plume…), bien plus chaud que pour un adulte. Il faut impérativement une excellente capuche, des gants très chauds, et quelque chose pour protéger le visage du vent : soit une capuche intégrale, soit un passe montagne, et si possible une crème grasse.
- Dans un autre ordre d’idées : si vous bivouaquez, demandez à l’enfant d’emmener de quoi se distraire dans les longs moments de repos. De la lecture, un petit jeu…
Les possibilités d’un enfant selon son âge
A quel âge peut-on emmener un enfant en haute-montagne ? Cette question en cache évidemment plein d’autres : qu’entend-t-on par « haute-montagne » (altitude, technicité…) ? Quelle est la constitution physique de l’enfant ? Quel est son rapport à la montagne (s’y sent-il en confiance, en a-t-il l’habitude ?), etc… Tout ça va énormément jouer sur ce que l’on peut se permettre. Il est donc tout à fait impossible de donner une réponse précise.
Les estimations ci-dessous, même si elles sont présentées dans un tableau qui fait très sérieux, ne sont qu’indicatives, elles correspondent grosso-modo à ce que j’ai cru constater, mais sans étude scientifique approfondie, évidemment. Modérez tout ça en prenant en compte le fait que chaque enfant a ses capacités propres, qu’après plusieurs balades le corps et la motivation se renforcent (si les choses se sont bien passées), etc…
Age | Dénivelé possible en une journée (avec très peu de poids sur le dos) | Poids du sac | Altitude max |
8 ans | 4 ou 500 mètres | 0 | 3000 |
10 ans | 7 ou 800 mètres | 4 kg (duvet) | 3500 |
12 ans | 1000 mètres | 6 kg | 4000 |
14 ans | Comme un adulte | 10 kg | 4800 |
16 ans | Comme un adulte | Comme un adulte | Comme un adulte |
Mener la balade pour qu’elle convienne à l’enfant
D’une manière générale, je pense qu’il est indispensable de centrer le déroulement de la balade sur le bien-être et la sécurité de l’enfant. Le rythme du groupe doit être le sien (ce qui ne sera pas forcément un déplaisir pour les autres adultes présents, loin de là…). Tenter de mener la balade comme si le groupe ne comportait pas d’enfants me semble voué à l’échec. Quelques pistes :
Rythme général de la journée
- La marche dans la nuit est une sorte d’aberration pour un enfant, qui a besoin de voir du paysage, de comprendre ou il est, ce qu’il y fait, vers quoi il se dirige… et où il met les pieds ! Je vous conseille donc de faire démarrer les étapes au petit matin. Réveil une heure avant le jour, préparation dans la nuit finissante, mais départ aux premières lueurs.
- Arrangez-vous pour que les étapes se terminent très tôt dans la journée. Pour l’enfant, la progression n’est pas une motivation suffisante : il a besoin de s’installer tranquillement dans un lieu, de l’explorer, de jouer avec les possibilités qu’il offre. La fin de matinée est un bon moment pour s’arrêter : on monte le camp, on mange, souvent un moment de fatigue donne envie aux enfants de faire spontanément une petite sieste (si si, les parents qui n’arrivent pas à faire la sieste à leurs enfants seront étonnés, ça marche tout seul !)
- Enfin, n’hésitez pas à raccourcir les étapes s’il s’avère que le site du camp initialement prévu est trop loin pour être atteint tôt dans la journée.
Pendant la progression
- Faites le grignoter et boire très régulièrement. Avant qu’il n’exprime de la faim ou de la soif.
- N’essayez pas de le faire avancer plus vite qu’il n’en a envie.
- Il aura probablement envie de s’arrêter pour se reposer très fréquemment : peut-être tous les 1/4 d’heure les premières fois. C’est comme ça ! Au bout de 2 ou 3 balades, les durées de marche s’allongeront rapidement.
- En cas de grande motivation, l’enfant ne sentira pas assez tôt sa propre fatigue et foncera sans faire attention. Il faudra tempérer ses ardeurs : le faire ralentir, l’arrêter régulièrement, l’abreuver, le nourrir…
- Restez aux aguets du moral de l’enfant. demandez lui régulièrement si tout va bien, s’il est fatigué, s’il se sent en confiance… S’il commence à perdre le moral, il faut trouver quelque chose de motivant, ou détourner son attention. J’ai souvent fait des pauses lecture, parfois même en montant la tente 1 heure en pleine journée lorsqu’il faisait froid, c’est un magnifique remède.
Pendant les pauses
- Dans les moments de pause ou à l’arrivée au camp, pensez avant tout à mettre l’enfant en conditions de confort le plus vite possible. Si vous montez un camp et qu’il y a un peu de vent, mettez le dans la tente avec un duvet avant même qu’elle ne soit montée. S’il fait beau, sortez un matelas et proposez lui de s’allonger… Mais s’il faut beau et que vous avez bien géré son effort, il aura peut-être aussi envie de jouer…