D’après moi la question fondamentale à se poser avant d’emmener un groupe en montagne, est « Pourquoi ? ». Pourquoi est-ce que je désire emmener ces gens ?
- Pour réaliser un exploit sportif ou technique ?
- Pour leur faire découvrir tel endroit ?
- Pour vivre une aventure humaine ?
- Pour être bien ensemble ?
La réponse à cette question conditionnera la manière dont on va encadrer la balade. Personnellement, les raisons qui me poussent à partir avec des gens sont plutôt dans le bas de la liste que dans le haut. Cela signifie que je privilégie le bien-être individuel et collectif par rapport au contenu de la balade. Les conseils donnés dans cette rubrique vont dans ce sens. Si votre objectif est de réaliser un exploit, alors il faudra choisir des personnes appropriées pour cela et les « manager » en conséquence. C’est totalement autre chose.
Voici quelques indications de conduite à tenir pour la personne qui est « leader » (s’il y en a une).
Le leader
C’est quoi le leader ?
Je ne parle pas ici de « premier de cordée » ou de « chef de cordée », car dans les raids tels que je les pratique la question ne se pose pas exactement en ces termes. Il peut en effet y avoir plusieurs cordées, donc plusieurs « premiers de cordée ». Par ailleurs les premiers peuvent changer avec le temps, pour que chacun avance dans son apprentissage.
Le leader est plutôt celui qui porte la responsabilité de l’ensemble, il est plutôt un genre de « chef d’expédition ». La notion de leader est plutôt basée sur des aspects humains que techniques.
Quelles qualités pour le leader ?
D’après moi il faut un certain nombre d’aptitudes pour faire un « bon leader » de raid en montagne :
Une habitude du terrain « haute montagne« , cela va de soi. Savoir se comporter sur les différents terrains qui seront parcourus, aptitude à juger des difficultés d’un itinéraire, etc… Précision : il n’est pas indispensable de connaître l’itinéraire concerné, on doit pouvoir s’adapter.
Une aptitude pédagogique. Il me semble difficile d’envisager de mener un groupe durant plusieurs jours, dans des conditions parfois difficiles, stressantes, sans prendre du temps à expliquer ses intentions, à décrire les alternatives, etc… Rien de plus inquiétant qu’un guide silencieux lorsqu’on flippe un peu, ou qu’on est crevé et qu’on ne sait pas quand ça va s’arrêter.
Une connaissance des comportement des individus dans des circonstances données. Dans la durée d’un raid il se passe immanquablement des choses pas claires dans la tête et le corps des participants, surtout des néophytes qui ne se connaissent pas dans ce genre de situation. Il y a des coups de moral, des crises d’angoisse, des pics d’enthousiasme, des crises d’hypoglycémie qui peuvent être impressionnantes, etc. Rien de tout cela n’est grave si on comprend ce qui se passe et que l’on sait quoi faire. Cette connaissance, d’après moi, s’apprend tout simplement en participant de nombreuses fois à des balades en haute montagne, tout en n’étant pas soi-même leader. Etre élève avant d’être maître, je sais c’est banal mais c’est comme ça.
Des qualités relationnelles sérieuses. Le groupe va évoluer au cours des journées, se charger de tous les ressentis décrits ci-dessus, la promiscuité va jouer… Tout est en place pour que se jouent de petits psychodrames si une attention particulière n’est pas portée à l’ambiance générale, au respect des besoins de chacun, etc… Le leader n’est pas au service de son propre projet, il est au service du groupe. ceux qui ne le comprennent pas risquent de revenir étonnés d’avoir fait souffrir leurs compagnons au lieu de leur avoir apporté du bonheur.
Il n’est par contre pas indispensable que le leader soit d’une technicité hors pair. Il n’est pas besoin de passer le 8 pour mener une cordée en terrain montagne, ni de parcourir de fantastiques cascades de glace pour mener sa cordée en sécurité dans un couloir à 25 degrés. Le tout est de savoir précisément quelles sont ses limites techniques, mentales, émotionnelles, jusqu’à quelles difficultés techniques on est en mesure d’assurer sa propre sécurité et celle de la cordée. En bref, il faut s’arranger pour se laisser de la marge par rapport aux conditions rencontrées.
Le rôle du leader pendant la balade
Voici quelques attitudes utiles à adopter par le « leader » pour qu’un raid se passe au mieux :
Respecter le niveau technique et physique des participants
Si le groupe est fatigué, si le groupe a un moral bas, il faut en tenir compte et ne pas rester uniquement fixé sur l’objectif initialement désigné. Voici quelques manières de s’adapter :
- Avoir de la souplesse dans les horaires. Avec la tente et l’itinérance, on peut se permettre de glander un peu. S’il faut se lever plus tard pour un meilleur repos, pourquoi pas ? parfois même une pause d’une journée peut être très positive et redonner un moral et une pêche d’enfer à toute la troupe.
- Modifier l’itinéraire. Si la voie choisie s’avère trop dur physiquement ou techniquement, il faut en changer, prendre un versant ou une arête plus facile.
- Changer d’objectif. On peut même en arriver là s’il le faut, ce n’est pas forcément grave. Si l’objectif initial était trop difficile, il n’aurait de toute façon pas été atteint, ou alors dans des conditions qui laisseront de mauvais souvenirs. Mieux vaut se reporter vers un objectif plus modeste qui fera plaisir à tout le monde. Choisir quelque chose de plus bas, de plus facile. Essayer de faire en sorte que ce nouvel objectif soit dans les parages de là où l’on se trouve pour donner tout son sens aux efforts des jours précédents.
Ne pas s’adapter aux besoins de la troupe peut par contre se payer cher (dégradation de l’ambiance, blessures, etc…).
Tempérer les ardeurs
Inversement, il est parfois nécessaire de tempérer les ardeurs du groupe. Lorsque tout va bien, que la progression est rapide, que le temps est beau, que les gens sont en forme, le groupe a envie d’avancer plus vite, de continuer encore une heure ou deux avant de poser le camp, ou de s’assigner un objectif plus ambitieux pour le lendemain.
Il y a là un rôle de tempérance, d’explication, pour que l’on reste dans le domaine du faisable en conservant une confortable marge de sécurité et de ressources physiques et morales. Ce n’est pas toujours facile car l’enthousiasme est communicatif, et qu’on est soi-même tenté de faire mieux. Mais le mieux est l’ennemi du bien, en montagne comme ailleurs.
Réguler les tensions si besoin
Il n’est pas rare que lors d’un raid l’ambiance se dégrade à un moment ou à l’autre. Plein de raisons expliquent cela :
- Les néophytes, s’il y en a, se retrouvent dans un univers inhabituel qui les met dans un état d’inquiétude permanent. Cette inquiétude est pompante pour le physique et le moral, souvent ce dernier ne tient qu’à un fil, il suffit d’un petit déclencheur pour basculer.
- La fatigue est généralement importante chez chacun, encore plus importante chez les plus faibles ou les moins acclimatés.
- La promiscuité permanente peut alourdir les relations
- … enfin, il peut tout simplement y avoir des mésententes qui n’ont rien à voir avec tout ça, simplement parce que deux personnes ne se ressentent pas bien !
Bien que le rôle du leader ne soit pas en principe de gérer les aspects purement relationnels entre les participants, il peut être très efficace et utile qu’il intervienne en cas de tensions ou de conflit. Sa position de pouvoir au sein du groupe lui confert sur les autres un ascendant important, et on constate souvent qu’en cas de conflit les protagonistes se tournent naturellement vers lui et attendent, consciemment ou inconsciemment, qu’il intervienne.
Son intervention peut être sur le mode « tempérant », pour calmer le jeu, rassurer… Il faut parfois au contraire trancher, prendre une décision claire sur ce qui génère le conflit.
Tenir le moral du groupe
Bien souvent, le moral du groupe est calqué sur le moral du leader. C’est particulièrement spectaculaire dans les moments difficiles (froid, peur, fatigue…). Si le leader garde le sourire, la pêche, montre qu’il se sent à l’aise, qu’il n’est pas inquiet, les autres suivront. Il me semble peu douteux que certains groupes se sont sortis avec le sourire de situations difficiles grâce au moral de leur leader. Inversement, je pense que des groupes ont vécu des moments épouvantables sans pourtant être dans des situations désespérées à cause du seul moral défaillant du leader.
Garder une attitude positive est un comportement parfois difficile à tenir car le leader lui-même a forcément des moments de faiblesse, d’inquiétude… faut-il alors simuler, cacher les problèmes ? Je crois que dans une certaine mesure, c’est préférable, car un groupe en bon état moral aura de meilleures ressources pour se sortir de situations difficiles, alors qu’un groupe faible courra encore plus de risque.
Peut-être faut-il partager ses inquiétudes avec seulement une personne suffisamment forte dans le groupe ?