C’est pour une fois une toute petite histoire… sans histoires, justement. Avec mon copain Pascal on préparait à l’époque un voyage au Pérou. On venait de claquer réellement toutes nos économies pour acheter du matériel flambant neuf, et on brûlait de l’essayer avant de se retrouver à 6000 mètres.
L’idée était simple : on partait en hiver, dans le massif de l’Oisan, plusieurs jours sans tente, pour tester la qualité de nos duvets et nos capacités à nous de s’adapter à des conditions un peu… fraîches.
Tout ça ne vaut pas spécialement un récit, voici donc juste quelques photos…
On part du Monétier (vallée de la Guisane), et on traverse la forêt. La neige enfonce, la progression est si lente qu’on commence par dormir dans un igloo ! Le lendemain, on monte un interminable versant dans une neige qui enfonce, et on se dirige vers le couloir de notre choix.
C’était marrant parce qu’on faisait tout « à vue » : on n’avait pas consulté de topo, on avait juste repéré ce passage qui nous paraissait facile depuis la vallée… C’est sans doute comme ça que faisaient les premiers alpinistes, ça a un côté excitant, on se dit qu’on découvre quelque chose…
On est finalement arrivés au pied du couloir. Une petite avalanche nous est passée dessus. Dans la vallée, André et Yvette nous observaient à la jumelle, ils ont vu la coulée et ils ont eu peur. Ils avaient raison, on était beaucoup trop tard dans la journée.
N’empêche, on est arrivés au sommet du couloir sans encombres.
En fait, quand j’y repense, je trouve qu’on n’avançait jamais beaucoup : dès qu’on avait franchi un semblant de difficulté ou d’étape, on s’arrêtait, on glandait… à la fois c’est pas sérieux, tous les alpinistes vous le diront, et puis en même temps je crois que c’est comme ça que j’aime aller en montagne. C’est probablement pour ça que je ne réaliserai jamais de grandes choses en montagne. J’aime glander en me persuadant que je viens de faire quelque chose d’exceptionnel. La vue m’aide souvent à le croire, car la vue en haute montagne est très souvent exceptionnelle. Vous avez souvent pique-niqué dans ce genre d’endroit, vous ?
Bref, une fois au sommet du couloir, une fois le gueuleton absorbé, nous voici sur une sorte de vaste plateau d’où l’on aperçoit parfaitement l’arête que nous prendrons le lendemain, et la roche de Jabel.
J’aime beaucoup, beaucoup les arêtes. On s’y sent au dessus de tout, et en général on y est en sécurité. Sur cette photo on voit au premier plan à gauche la roche de Jabel, et en arrière plan les agneaux, vers lesquels nous voulions nous diriger plus tard.
On se met en route tout doucement…
… mais assez rapidement on trouve qu’on en a fait assez pour la journée, et on « plante le camp », si l’on peut dire. Ca consiste à trouver une congère, à y creuser deux trous de la taille de nos duvets, et à s’y installer.
La photo est ratée, mais c’est la seule que j’ai d’un bivouac de ce type, et comme c’est un souvenir cher à mon cœur je la mets. Il faisait calme, il faisait doux. On n’a pas eu froid avec nos duvets calibrés pour résister à -30°C, mais ça n’a pas été un test bien probant pour notre expédition péruvienne : là-bas on a connu réellement des températures froides, on s’est vraiment, vraiment pelés, les hivers du massif de l’Oisan c’est de la rigolade, ma parole ! Non, je blague, des froids terribles il s’en rencontre dans tous les massifs du monde. Aujourd’hui j’habite en Lozère, le second sommet c’est l’Aigoual il mesure 1560 mètres d’altitude, il y fait chaque hiver des froids terribles. C’est bizarre, je ne comprends pas bien comment ça marche, tout ça. Et le réchauffement de la planète, ça va y changer des choses, aussi ? Je ne sais pas.
Je crois que le lendemain matin a été l’un des top dans mes souvenirs de belle montagne, de beau temps calme. La vue portait à l’infini, le Mont Viso était si proche qu’on aurait pu le toucher. Le silence était absolu.
Ce jour là, on s’y est crus, sur les sommets des Andes, autant que quelques mois plus tard.
Alors, pour se récompenser de cette petite montée, on s’est payés un autre gueuleton. Le réchaud enfoncé dans la neige, Pascal nous a cuisiné je ne sais plus quoi d’immonde, mais ça n’était pas grave. On était contents d’être là.
Et puis après, la neige est devenue très, très molle. Notre programme initial, qui était de pousser jusqu’aux agneaux, de redescendre sur le glacier blanc et de continuer jusqu’aux écrins, nous a tout à coup semblé vraiment fatigant. Alors on a pris le premier couloir qui s’est présenté et qui nous a semblé praticable, et on est redescendus dans les pentes plus accueillantes qui menaient vers la vallée.
Bien sûr, on n’avait pas réalisé grand chose de nos projets, ce qui décidément nous arrivait trop souvent, mais c’était chouette quand même. 4 mois plus tard on s’envolait vers le Pérou, on avait 19 ans et on était vraiment fous. Mais c’est une autre histoire qui sera contée ailleurs …