Ce texte figure dans le livre « Sacré mont Blanc«
Huaraz est à la Cordillère Blanche du Pérou ce que Chamonix est au massif du Mont-Blanc : une ville-base idéale. Les points de ressemblance entre ces deux Mecques de l’Alpinisme sont nombreux. Elles sont toutes deux situées au pied même de la haute montagne, ce qui en fait des points de départ évident pour toutes les tentatives. Leur taille déjà respectable permet aux alpinistes d’y trouver tout ce dont ils ont besoin avant et après les ascensions. Haut, très haut au-dessus des toits des deux cités, visibles de chaque ruelle, planent deux énormes sommets écrasés de glace dont la présence marque en profondeur l’ambiance de la ville. Presque toute la vie, ici comme là-bas, est au service de la montagne et de l’alpinisme. Entre les magasins de location de matériel, les échoppes de guides, les hôtels aux noms de sommets prestigieux et les terrasses de bistrots pleines de barbus aux nez brûlés et fourrures polaires élimées, plane le souvenir des plus grands grimpeurs de la planète, tous passés par là à un moment ou à un autre.
Encore bien plus nombreux que les alpinistes, les touristes arpentent en masse les deux centres-villes. Sans projet d’ascension pour eux-mêmes, il sont pourtant touchés par ces montagnes énormes, ces glaciers fracturés et toutes les histoires admirables ou horribles qui s’y rapportent. Il est si bon de se promener main dans la main sur les bords de l’Arve ou dans la contre-allée de l’Avenida Raymondi, au tiède soleil de l’après-midi, en contemplant l’arête déchiquetée de l’aiguille du Goûter ou le sommet du Ranrapallca. Il doit faire si froid là-haut !
Ce jour-là, entre deux ascensions dans la Cordillère Blanche, je flânais au centre-ville de Huaraz, quand mon regard fut attiré par un présentoir à cartes postales. Mecque de l’Alpinisme oblige, y étaient essentiellement exposées des vues de pics, de dômes et d’arêtes enneigés. « Les plus beaux sommets des environs, bien sûr », pensais-je sans m’approcher. Mais il me sembla tout à coup reconnaître un profil bien connu, et pas du tout à sa place… Mais oui, nom de Dieu, l’une des photos exposées représentait… le Boss himself, le mont Blanc !
Intrigué, je m’approchai, et j’observai plus en détail le présentoir, pour m’apercevoir avec stupeur que la presque totalité des cartes postales représentaient différents versants de mon sommet fétiche, pourtant distant de plus de dix mille kilomètres. Autour de moi, des touristes de toutes nationalités piochaient indifféremment parmi les cartes, persuadés d’envoyer à leurs familles une vue des sommets locaux. Une vague de colère me submergea brusquement : carajo, ils sont vraiment incultes, ces touristes, pour ne pas différencier le mont Blanc du Huascaran ! Mais ouvrez les yeux, bon sang ! Levez donc le nez vers la Cordillère ! Vous les voyez quelque part, les sommets de ces photos ? Où est-elle, cette arête reconnaissable entre toutes ? Montrez-la moi !
Mais, à peine dissimulée derrière cette colère un peu factice, traînait une autre émotion : de la fierté. Même ici, au pied de ces colosses de plus de 6000 mètres, le mont Blanc pouvait tenir sans rougir son rôle de « Grand ».