Ce texte figure dans le livre « Sacré mont Blanc » (2020)
Mexique, région de Puebla, août 2009
« Holà, compadre, cuanto tiempo hasta la cima ? »
J’aime les Latino-Américains. Je les aime de tout mon coeur. Quoi de commun, me direz-vous, entre un Aymara de Bolivie et un habitant d’un bidonville de Mexico, entre un Maya du Chiapas et un intellectuel de Santiago du Chili, entre un descendant de colon espagnol et un pur indien de l’Altiplano ? Peu de chose, bien sûr. Pas plus qu’entre un berger grec et un ingénieur de Hambourg. Mais pourtant, pourtant, il y a des traits communs… comme il y en a sans doute entre nous, français ou Européens, que nous-mêmes ne percevons pas forcément. Sentir ce genre de chose est plus facile lorsqu’on est d’ailleurs… Je trouve aux Latino-Américains plein de qualités attachantes, qui me font du bien. Il y a par exemple chez eux quelque chose de chaleureux mais sans ostentation, contrairement au caractère méditerranéen de chez nous. Je ressens aussi de leur part une confiance dans la simplicité de la vie, à la limite de la naïveté parfois.
Alors ce jour là, quand ce bon père de famille mexicain bedonnant, chargé de quatre ou cinq sacs de plage bourrés de bouteilles de Coca de trois litres, de fauteuils de pique-nique, de sacs de chips ultra géants, de bières et de raquettes de badminton, entouré d’une nombreuse marmaille suspendue à ses habits, m’a abordé pour me demander si le sommet était encore loin, ça ne m’a pas entièrement étonné, mais j’ai eu beaucoup de mal à ne pas rire.
Certes, les 4500 mètres de la « Malinche », ce volcan qui domine la ville de Puebla, n’ont pas grand-chose à voir avec les 4500 mètres du Cervin. Son ascension n’est guère comparable à celle de nos grands des Alpes. La « voie normale » démarre au bout de la route, à l’altitude déjà élevée (selon nos critères) de 3000 mètres. De là, une piste carrossable mais fermée à la circulation serpente entre les résineux jusqu’aux environs de 3500 mètres. Encore cinq cents mètres d’un agréable sentier ombragé et vous voilà au sortir de la forêt, à 4000 mètres environ.
Ajoutez à cela deux cent mètres supplémentaires au travers des herbes hautes, et trois cents derniers mètres sur une arête un peu plus minérale mais tout à fait débonnaire : vous voilà arrivés.
Non, vraiment, 4500 mètres, au Mexique, ce n’est pas encore la haute montagne. De fait, pendant la descente nous avions croisé des groupes de jeunes en route pour le sommet, chaussés d’une simple paire de tennis, vêtus d’un gilet léger, une canette de Coca à la main. Equipement surprenant s’il s’était agi de gravir un 4000 en France, mais qui allait probablement leur suffire à atteindre leur objectif . Mais tout de même : la petite famille n’avait grimpé que d’une cinquantaine de mètres de dénivelé, il en restait 1450 et nous étions déjà au milieu de l’après-midi ! Au rythme qui était le leur, il manquait juste trois ou quatre jours à leur planning d’assaut pour espérer réussir. Mais le bon père de famille ne semblait pas douter de leurs chances de réussite. Qu’auriez-vous répondu ? Moi, j’ai dit :
– Oh oui, Monsieur, le sommet est encore loin !
– Combien, m’a-t-il demandé, combien de temps ?
Je les ai regardés encore. Les enfants commençaient déjà à pleurnicher de la fatigue… J’ai répondu :
– Oh, plusieurs heures de marche, Monsieur, de nombreuses heures !
Alors père de famille s’est tourné vers sa famille et il a dit :
– En route !
Et ils se sont remis en marche vers le haut, à un rythme lent, si lent… Je pense qu’ils ont dû s’arrêter au lacet suivant, dans une jolie clairière, sortir les raquettes, les sacs de chips et les Coca géants, et faire un énorme pique-nique… Enfin, j’espère que c’est ce qu’ils ont fait. Parce qu’à ces latitudes, la nuit tombe à 18 heures.
Et s’ils avaient continué ?
Peut-être y sont-ils encore ?