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Le menhir de Grizac
Jeannot Fossard est un copain passionné par les Cévennes, et en particulier la zone qui entoure sa maison, le vallon de Malaval, surmonté des Puechs des bondons. Il a développé au sujet de ces deux excroissances calcaires une théorie particulière : leur forme de seins, et la cambrure ample de l'Eschino-d'Aze tout proche qui fait penser à un ventre de femme enceinte, tout cela aurait enflammé l'imagination et les sens des hommes velus d'autrefois qui auraient prêté à ces lieux une signification toute féminine et maternelle. Ce serait "la vieille", mère de tous nos phantasmes de bébés, de petits garçons et d'hommes d'âge mûr. Cette théorie apporte une explication (parmi d'autres) à la présence des très nombreux menhirs des alentours, que les hommes auraient dressés comme autant d'hommages virils à leur maman. J'en parle à la légère, mais Jeannot est lui très sérieux, il a consacré 20 années de sa vie à ce sujet, ainsi que plusieurs ouvrages, et un site web très fourni.
D'après Jeannot, l'emprise de cette vieille des Bondons est si forte que les Hommes d'autrefois l'ont vénérée en lui érigeant des mégalithes sur tous les sites d'altitude élevée depuis lesquels elle est visible, jusqu'à des dizaines de kilomètres de distance. Des Causses aux crêtes cévenoles en passant par les contreforts granitiques du Bougès ou du Lozère, Jeannot a dressé un inventaire impressionnant de ces sites. Et attention, il ne faut pas chercher longtemps le bouton pour lancer Jeannot dans des récits tous plus étonnants les uns que les autres sur la manière dont il a découvert celui-ci, compris la logique d'organisation de celui-là, etc.
Le menhir de Grizac fait partie des plus beaux récits. Jeannot prétendait que depuis le site ou il est érigé, on ne voit même pas la vieille, mais que celle-ci n'est visible que lorsqu'on monte sur le menhir, et uniquement de là. Cette fois, j'avais pensé "Hé Jeannot, là c'est trop beau pour être vrai, ton histoire !". Alors, un jour que j'allais rendre une petite visite aux amis de Grizac, je me suis arrêté. Histoire, tout de même d'aller vérifier la chose.
Dame, c'est vrai qu'il est beau, ce menhir. D'abord il est grand. 3 mètres, comparés aux alignements de Carnac et au monstre de Locmariaquer c'est minable, mais pour ici c'est bien... Ensuite, il est régulier, de section circulaire, en forme de cône tronqué. Pas une de ces pierres informes qu'on a levées à la va-vite parce qu'on avait la flemme d'en chercher une mieux un peu plus loin. Non. Celle-ci a été soigneusement recherchée, transportée de je ne sais où, et très probablement retouchée pour en purifier la ligne. Et puis il y a cette cupule, ce "trou" bien visible dans la lumière rasante du soir. On a envie d'y mettre le poing, qui s'y love exactement.
Il paraît que la propriété première de ce menhir est de favoriser la fertilité. Si tu veux un enfant tu vas au menhir de Grizac, et tu fais... euh, quoi, en fait ? Tu te mets devant, tu fais une demande silencieuse, une incantation ? Tu le prends dans tes bras et tu lui parle au creux de la cupule ? Tu t'assois dessus, jambes écartées, et tu.... bon j'arrête là les supputations non scientifiques. Je ne sais pas ce qu'il faut faire en sa présence.
Moi qui ne souhaite plus avoir d'enfants, me voici pourtant à ses pieds. Mon attention se reporte sur le vaste paysage qui m'entoure. On a d'ici une vision stupéfiante d'ampleur. Au nord, au delà du rebord du plateau, le Mont Lozère barre tout l'horizon. L'extrémité est du massif, avec le Pic Cassini, puis le Lozère central, avec le pic de Finiels. Plus à l'ouest, la crête redescend peu à peu vers Barrandon, rejoint les plateaux, en direction, en direction... des puechs des Bondons... qui sont totalement invisibles ! Sacré Jeannot, tu m'as bien eu, hein ? Mais allez, tu m'a bien fait rêver, je te pardonne.
En rigolant intérieurement de ma crédulité, je me lance dans une petite escalade du menhir, histoire de voir le paysage sous un angle différent, comme dans "Le cercle des poètes disparus". Bigre, il est haut, et peu pratique d'accès. Seule la cupule offre une quelconque prise, pour le reste il faut se débrouiller à grands mouvements de bras et serrements de jambes autour de ce membre gigantesque. J'espère que personne ne me regarde !
Le rétablissement au sommet est légèrement acrobatique : il y a juste la place pour les pieds... doucement, je redresse le corps pour finir debout, le regard dirigé vers le sol qui semble tout à coup bien trop lointain. J'ai l'impression que ça tourne autour de moi... Diable, cet endroit est bizarre.
Courageusement, je relève le regard jusqu'à pouvoir embrasser l'ensemble du paysage qui s'immobilise peu à peu. Mon sourire de victoire se fige.
Là-bas, au dessus de l'horizon ouest, dépassant de justesse la crête du plateau calcaire, la vieille me fait un sourire.
Moi qui avais douté, j'ai vraiment eu l'air d'un con, lorsque quelques temps après ma visite, les services secrets sont venus installer des capteurs sur le menhir. De source bien informée, avec ça ils mesurent les flux d'énergie radiante transitant entre le menhir et la vieille, en particulier les jours de pleine lune correspondant aux solstices d'été et d'hivers. Il paraît qu'il y a également des signaux très nets lorsque des hordes de femmes en mal d'enfant viennent se frotter le ventre sur la rocher en chantant des mélopées. Je ne sais pas exactement ce que les services secrets vont faire de toutes ces mesures, mais ça m'inquiète. Si vous en savez plus, faites moi passer vos information, mais je vous en supplie, soyez très discrets. Je ne sais pas... je me sens observé ces temps ci...
Allez, pour ne pas vous laisser seul avec votre angoisse, je vous fournis aussi la photo du menhir et de l’antenne prise sous un autre angle, avec une focale différente...
Les services secrets n'y sont pour rien, il faut probablement plutôt rechercher du côté des opérateurs de téléphonie, mais le résultat est tout de même consternant. Pauvre vieille, va !
Allez tout de même voir ce menhir.
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21/11/2007
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