Noms et prénoms en Cévennes
On n'a pas fini de parler des différences entre cévenols de souches et nouveaux arrivants.
L'une des plus significative d'entre elles réside dans la manière dont on les appelle.
Les cévenols de souche ont cette chance d'être membre d'une famille locale, et de ce fait
de porter un nom connu. Il y a les Atger, les Roumejon, les Meynadier, les Agulhon...
A ces patronymes, on reconnaît immédiatement et sans ambiguïté leur origine.
Ils sont d'ici. Leurs ancêtres parcouraient déjà ces terres il y a cent ou mille
ans. Avec le temps, il y a eu des déplacements, des migrations : les noms de famille, sans doute à l'origine circonscrit à un "quartier", ont essaimé dans les vallées cévenoles,
du Pont de Montvert à Sainte Croix vallée Française et plus loin. Les Rouquette et Bancilhon ont maintenant des représentants un peu partout, à tel point qu'il n'est pas toujours facile de s'y retrouver :
- Monsieur Poujol ? Bien sûr que je le connais : il a épousé la fille Chapelle... - Ah non, lui c'est
son cousin issu de germain. Celui dont je te parle, il est plâtrier à
Fraissinet, et il est marié avec Lucette Chaptal, la soeur de Louise Jouve,
tu vois ? - Ah tiens, je ne le connais pas, celui-là !
Pour faciliter l'identification, on emploie parfois des surnoms... mais
des
surnoms... de noms de famille ! L'une des branches de la famille Rouméjon a
été surnommée, allez
savoir pourquoi, "Grel" ("le germe", en occitan). Efficace...
sauf quand, comme par hasard, une autre famille porte vraiment le nom
"Grel"... rien n'est parfait !
Les liens de parenté entre personnes de même nom ont parfois été oubliés : il n'est pas rare que deux Pantel ou deux Genoyer, voisins, ne se sachent pas cousins, même lointains... Chez les nouveaux arrivants, la situation est très différente. Originaires de tout
la France ou de plus loin, leurs noms tous différents, sans ancrage
dans ce pays, ne "parlent" à personne. Lorsque l'on n'est pas cévenol d'origine,
il est inutile de donner son nom : personne n'écoute, personne
ne retient. Lors des présentations, on ne donne que son prénom. Mais un prénom,
c'est insuffisant pour identifier quelqu'un avec certitude : il y a des doublons. Comment dès lors
différencier Vincent de Vincent ?
Les couples sont avantagés. Accoler deux prénoms réduit les chances qu'il existe
quelque part un couple homonyme. L'habitude s'est prise de parler de "Yann
et Julie", "Steph et Nadia", "Laurent et Natoche"... Tout devient plus pratique.
Lorsque l'on veut évoquer Martine en étant sûr de bien se faire comprendre, il suffit
de dire "Martine de Riton", et le tour est joué. Le prénom du conjoint devient en
quelque sorte le nom de famille, et tout est inversé en miroir pour l'autre membre
du couple. La technique est pratique mais pas sans risque. Les couples se défont
parfois et les habitudes ont la vie dure. Jean-Mi est longtemps resté le Jean-Mi
de Véro, bien après la fin de leur vie commune. Et puis, le hasard aime s'amuser
en créant plusieurs "Steph et Nadia", il faut alors trouver un système plus performant.
On peut par exemple accoler au prénom un renseignement
supplémentaire, une information suffisamment précise pour éviter toute confusion. Il peut s'agir du lieu dans lequel vit la personne concernée. Elle est alors anoblie en "Franck du Crémat",
ou "Jean-Christophe de la Borie". Les Cévennes sont pleines de jeunes nobles qui
s'ignorent. Il peut s'agir également du métier, ce qui donne des résultats aux consonances plus ou moins poétiques selon le cas : entre "Yvette
fromage" et "Amélie des Jardins", je sais comment je préfèrerai que l'on m'appelle !
Et puis, bien sûr, la méthode du surnom est employée, comme pour les cévenols de souche, à la différence qu'ils portent sur les prénoms. Les Cévennes sont pleines de Coco, zap, p'tit Steph
et grand Steph.
Ces moyens d'identification artisanaux et inventifs ne suffisent pas toujours. Comment passer un coup de fil à "Marie de Saint-Laurent" alors que vous ne connaissez ni son nom ni son numéro de téléphone ? L'annuaire ne cite pas les surnoms, ni le prénom des conjoints ! Il vous reste une solution simple. La méthode est la suivante :
- ouvrez l'annuaire à la page de la commune dans laquelle vit Marie
- parcourez l'ensemble des abonnés de la commune. Ce sera vite fait : dans ce département qui ne compte que 70.000 habitants, il y aura rarement plus d'une cinquantaine de noms (l'annuaire mesure 1,5 cm d'épaisseur, pages jaunes comprises !)
- ignorez royalement les noms de famille, concentrez vous sur les prénoms
- lorsque vous tombez sur le prénom "Marie", vérifiez juste que le hameau est le bon,
pour le cas ou la commune abriterait deux personnes du même prénom
En quelques secondes, vous obtiendrez satisfaction. Et vous vous exclamerez alors
:
"Ah ! Marie, la voilà, à Feyrerette... tiens, quel drôle de nom !".
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