Lozère peu peuplée
Une large partie des Cévennes est située dans le département de la Lozère. Ce département
peu banal présente la particularité d'être le moins peuplé de France avec à peine
plus de 70.000 habitants, à comparer avec les 650.000 de la moyenne nationale, et
les 2 ou 3 millions des plus denses. Imaginez les habitants d'un demi-arrondissement
parisien répartis sur un département... Il ne reste plus grand monde au kilomètre
carré. Certaines parties de la Lozère atteignent même de vertigineux records, comme
le causse Méjean, un plateau calcaire de 30 km par 20 sur lequel 600 habitants sont
dispersés de loin en loin dans de minuscules hameaux isolés. La densité y tombe
à près de 1 habitant au km², ce qui e fait, selon les normes officielles, un désert.
Après avoir longtemps désolé les pouvoirs publics, cette faible population fait
à présent partie de la fierté locale. Il est bien plaisant de sentir que des "comme
nous", il n'y en a pas beaucoup. Chacun trouve ses propres anecdotes à raconter
au "éstrangers" pour illustrer notre particularité départementale. En voici quelques-unes
des miennes :
Mende, avec 12000 habitants, est la seconde plus petite préfecture de France, après
(ou avant, c'est selon) Foix en Ariège. Mais il est encore plus spectaculaire d'observer
Florac, 2000 habitants. Un petit village aux yeux de la majorité des français, la
"grande ville locale" pour les gens du coin, avec 12 bars, 80 associations... Cette
mégapole abrite les locaux de la sous-préfecture. Je me rappelle comment il fallait
faire à Rouen pour établir une carte grise. On arrivait dans un hall de 500 m²,
on tirait un ticket et on faisait une interminable queue à l'un des 15 guichets
dédiés uniquement aux cartes grises. A la sous-préfecture de Florac, il y a 1 seul
guichet pour toutes les opérations, pas de tickets et très rarement plus d'une seule
personne (soi-même). Toutes les tâches sont traitées par deux personnes qui doivent
donc savoir tout faire, ce qui est bien évidemment impossible, et les oblige fréquemment
à passer un coup de fil à la préfecture ou ailleurs pour avoir la bonne procédure
dès qu'il se pose un cas de figure qui sort des manips les plus ordinaires. Tout
ça avec le sourire et la sérénité.
Mais la plupart des communes du département sont évidemment bien en deçà de la taille
de Florac. 200 ou 300 habitants sont plus courants, moins de 100 est fréquent, ce
qui, hélas, ne suffit généralement pas à maintenir des commerces ou des services.
Les épiceries ou stations d'essence ne sont déjà pas courantes, les écoles, derniers
bastions d'organisation sociale, ont fermé dans l'essentiel des villages.
Pour rassembler les dernières forces et résister un peu plus longtemps, des regroupements
de services parfois étonnants sont tentés. L'épicerie - station service reste relativement
classique, le (feu) photographe - magasin de musique de Florac était plus inhabituel,
la palme va sans doute au Temple - Mairie de Bassurels. Comme si ici, la séparation
de l'église et de l'état n'était encore qu'une notion théorique ?
Du coup, une différence assez nette s'observe entre les hameaux qui proposent tout
ça, et concentrent donc la vie économique et sociale, et les autres, réduits au
rôle de lieux d'habitation ("cités dortoirs", disent les mauvaises langues). Mais
on y est tranquilles.
L'une des légendes les plus tenaces raconte qu'il n'y aurait, en tout et pour tout,
que 7 feux rouges dans le département... Personne ne prend la peine de le vérifier,
et après tout ça n'est pas si important car même si c'est 20 ou 30, cela fait quand
même bien peu, et ça fait baver les citadins...
Autre signification possible du chiffre 7 : il n'y aurait, paraît-il, que 7 intermittents
du spectacle (catégorie "artiste") dans le département. Je n'ai pas vérifié, je
pense que ce chiffre a lui aussi augmenté dans les années qui viennent de passer.
Et tout cas, une chose est sûre : pas facile de faire une manif à 7 lorsque le statut
est remis en question, comme en cette période troublée de juillet 2003 !
Quand c'est l'anniversaire d'un enfant, tous les petits copains invités foncent
aux "10.000 articles", LE magasin de Florac dans lequel on peut facilement trouver
des tas de p'tits trucs pour ce genre de situation. Du coup sur 10 gamins invités,
à tous les coups il y en a 3 qui achètent la même chose et les parents de l'heureux
élu doivent immanquablement aller échanger la babiole contre une autre.
De la porte-fenêtre de ma maison, la vue vers le sud porte à plus de 25 kilomètres,
jusque sur le versant nord du Mont Aigoual.
La nuit, tout ce territoire est absolument et totalement noir. Un seul et unique
petit point jaune est visible sur cette photo comme dans la réalité. Ce sont les
lumières de Cabrillac, minuscule hameau isolé à 1200 mètres d'altitude. Cette perspective
tronque un peu la réalité : il existe des hameaux plus proches mais invisibles car
cachés au fonds de la vallée, mais une telle vision permet tout de même de prendre
conscience que l'homme est ici plus rare qu'ailleurs.Cette faible population, si elle a ses inconvénients, a aussi et surtout beaucoup
d'avantages. Quelques exemples :
L'annuaire de la Lozère mesure 1,4 cm d'épaisseur, pages jaunes incluses. Avantage
pour nous (mais inconvénient pour les forces de l'ordre), c'est tout à fait insuffisant
pour pratiquer un passage à tabac efficace. Cette minceur permet aussi une manipulation
impossible aux habitants d'un département plus peuplé. Tu connais quelqu'un par
son prénom mais sans avoir son nom ? Facile, tu ouvre à la page de sa commune, et
en 8 secondes tu parcours des yeux les 35 habitants du village pour le trouver.
La solidarité qui apparaît entre des gens qui se sentent si peu nombreux n'est pas
le moindre des avantages. Un jour de voyage familial, nous tombons en panne d'embrayage
sur le bas-côté d'une route normande. Les enfants s'énervent sous le soleil, le
moral est bas car nous ne voyons pas comment nous sortir rapidement de cette situation.
Les voitures filent tout droit sans se préoccuper de nos soucis lorsque l'une d'elle
s'arrête spontanément devant nous. Immatriculation : 48. "Tout va bien, on peut
vous aider ?". Des voitures 48, il y en a tellement peu qu'en croiser une, n'importe
où ailleurs en France, c'est immanquablement un petit coup de joie au coeur et une
envie de savoir qui sont-ils, et d'où exactement viennent-ils, ces gens qui partagent
le statut de lozériens.
Etre peu, ça oblige aussi à trouver des solutions à tout un tas de situations différentes
d'ailleurs. Il n'y a pas de cinéma permanent en sud Lozère, alors une association
originale s'est mise en place : CINECO. Deux projecteurs 35 mm transportables (du
vrai matériel de pro) ont été achetés, une programmation est établie tous les 3
mois (avec de vrais films des circuits habituels de distribution, et pas forcément
du ciné-club en noir et blanc), des séances sont organisées dans une dizaine de
communes, des équipes bénévoles se repassent les films et les projecteurs de jour
en jour... On projette là où l'on peu : dans la salle communale, le temple... en
plein air parfois. devant 250 personnes à Florac lorsque c'est un film grand public
qui a bien marché au niveau national, devant 10 voire 5 personnes si on est dans
le fin-fonds des Cévennes pour un film d'arts et essais... Peu importe, la culture
passe, passe, passe, même là où je suis sûr beaucoup ne s'attendraient pas à la
trouver.
Et puis... être peu sur un territoire, ça apporte une certaine tranquillité, un
rythme de vie plus cool, et beaucoup moins de tensions humaines. Je suis persuadé
qu'une partie de l'agressivité qu'on trouve dans les grandes villes provient de
l'entassement, du manque d'espace, de calme, de la promiscuité. Pourquoi nous les
français ne nous répartissons pas mieux sur notre territoire ? En Lozère il y a
encore beaucoup de place, beaucoup de gens pourraient encore venir s'y installer
avant que des problèmes apparaissent. Moi je dis aux gens : venez en Lozère !
C'est d'ailleurs plus ou moins ce qui se passe. Après un siècle de chute libre,
la population a touché le fonds aux alentours des années 80, et après une période
de stabilisation, on constate un redépart à la hausse, essentiellement dû à l'immigration
des "néos" qui contribuent, peu à peu, à repeupler le pays.
En 1995, il restait dans le hameau central de Saint Laurent de Trèves une seule
habitante permanente, Emilie. Déjà âgée elle craignait de finir sa vie dans le silence.
En l'espace de quelques années, plusieurs maisons sont vendues à des familles qui
s'installent dans la région. Une dynamique redémarre, le mouvement appelle le mouvement,
et en 2002, 23 personnes habitent ici à l'année, dont 6 enfants qui recommencent
à faire du bruit dans la rue lorsqu'ils rentrent de l'école, et auxquels Emilie
distribue des bonbons en répétant à qui veut l'entendre qu'elle aime cette agitation.
En 2003 Emilie s'en est allée, mais ses derniers mois ont été heureux, je crois.
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