La balme de Fraissinet de Fourques
Vous cherchez un endroit qui serait à la fois intime,
chaleureux, intrigant, et grandiose à la fois ? Je pense que c'est à
la Balme de Fraissinet qu'il faut aller vous balader. Pour atteindre
cette microscopique cavité, perchée très haut sur le flanc est du
causse Méjean, au dessus du village de Fraissinet de Fourques, il
faut commencer par donner un peu de sa personne. L'arrivée par le
haut est sans doute la plus facile et la plus belle à la fois.
Garez-vous au parking de l'Hom, revenez à pied vers le carrefour et
prenez le sentier qui vous mène tout droit vers la vallée du
Tarnon. Descendez au replat sur lequel se trouve une grande Croix
bien visible. Vous aurez sans doute envie, comme moi, de faire une
pause pique-nique à cet endroit magique, perché en plein ciel,
délicieusement abrité lorsque souffle le vent du nord.
Profitez de l'endroit pour repérer votre objectif car à partir
de là, vous allez quitter le monde civilisé et ses sentiers
balisés. Tournez-vous vers la falaise située au nord-est de la
Croix. Vous pourrez y apercevoir, à environ un kilomètre, comme
perchée en plein ciel, une ouverture noire aux formes géométriques.
C'est votre objectif. Vous ne pourrez pas le revoir avant d'y être
arrivés.
Avancez dans cette direction, à l'horizontale, jusqu'à trouver
un sentier assez bien marqué qui part au pied des falaise. Suivez le
sur... la bonne distance. Il n'y a pas d'indications, et guère de
points de repère pour trouver la grotte, alors soyez attentifs.
Lorsque le chemin traversera une zone purement rocheuse, de quelques
dizaines de mètres de longueur, vous n'êtes plus loin. Fiez vous à
votre instinct, et lorsque vous "sentez" sur votre gauche,
quelque chose qui ressemble à un passage moins difficile
qu'ailleurs, montez tout droit. Si vous êtes au bon endroit, vous
trouverez rapidement un escalier très rustique, constitué de
marches grossières taillées dans la roche. Empruntez-le jusqu'à un
replat qui court à l'horizontale dans le pied de falaise. Vous êtes
arrivés.
Reste à comprendre ce qu'il y a d'intéressant à voir, car les
plus distraits pourront parfaitement repartir sans s'apercevoir
qu'ils ont frôlé un site passionnant.
Si vous partez vers la droite sur le replat, vous franchirez un
passage délicat : le replat disparait presque totalement, et il faut
frôler la falaise pour ne pas partir dans le trou. Quelques mètres
plus loin, une sorte de vasque a été creusée, sans doute dans
un renfoncement naturel de la falaise. de l'eau y arrive par petites
quantités, mais suffisantes pour y former une flaque permanente.
Trouver de l'eau dans une falaise orientée sud du Causse, ce n'est
déjà pas banal en soit, et cela ouvre des perspectives
intéressantes, car la vie devient envisageable... votons donc ce que
la suite nous réserve.
Demi-tour, nouveau franchissement du passage délicat, dépasser
l'escalier et continuez. Quelques mètres plus loin, la falaise forme
une avancée très nette, et un pilier de roche en descend jusqu'au
sol du replat. Il forme avec la paroi une sorte d'arche, qui
semble naturelle au premier regard. Un examen plus attentif permet de
comprendre que cette arche a en fait été retaillée, de manière à
pouvoir accueillir une porte. Le légendaire local l'attribuait
d'ailleurs aux fées.
Au delà, le replat s'élargit franchement, et l'on distingue dans
la paroi rocheuse des entailles régulièrement espacées. Tous ces
indices permettent peu à peu de comprendre le site : la "porte"
barrait l'accès à la suite du replat, qui était au moins
partiellement couvert d'un toit. Sur le côté gauche, des iris
poussent le long du vide. Ces plantes sont traditionnellement
associées au culte des morts. L'absence de sol ne permettait
probablement pas d'enterrer des morts ici. Alors?
Continuez à progresser sur le replat, jusqu'à l'endroit où il
se resserre et semble prendre fin. Les surprises continuent : une
étroite vire escarpée, couverte d'herbe et envahie par une
végétation arbustive, monte le long de la falaise. Soyez prudents.
Montez. Quelques mètres plus haut vos efforts seront récompensés :
vous arrivez à une ouverture dans la falaise, celle-là même que
vous aperceviez depuis la croix.
La cavité à une forme étonnante : elle est presque sphérique.
Rien de très naturel apparemment, et là encore une observation
rapide permet de comprendre qu'il s'agit en fait d'une cavité
naturelle retaillée par l'homme : l'entrée présente les formes
classiques du travail de l'érosion, tandis que les parois
intérieures sont piquetées de marques de taille. Le sol est presque
parfaitement plat et horizontal, présentant des traces de retaille
artificielle, notamment pour évacuer l'eau... Au mur, à différentes
hauteurs, des encoches rectangulaires caractéristiques de
poutraisons, datant sans doute de plusieurs époques différentes
(certains présentent encore des traces d'une sorte de ciment). Il y
a eu ici des planchers, sans doute un juste au dessus du sol, un
second à mi-hauteur, et un dernier relativement proche du plafond.
Sur la paroi du fond, on peut encore voir (en 2016) des traces très
ténues de grandes croix tracées d'une couleur ocre, mais il
semblerait qu'elle s'abîme rapidement ces dernières décennies et
qu'elle disparaisse bientôt tout à fait.
La Balme de Fraissinet est est un lieu confortable, à l'abri des
vents froids l'hiver, et très frais pendant les grosses chaleurs de
l'été. De l'ouverture, la vue porte de la can de l'Hospitalet au
col de Perjuret, et permet de surveiller toute la haute vallée du
Tarnon.
Que sait-on de ce lieu étonnant ? Quelques débris trouvés aux
alentours rendent plausible le fait que le site ait été fréquenté
depuis le IIIè ou IVè siècle après JC. Connu depuis toujours, il
a enflammé les imaginations et beaucoup d'hypothèses sérieuses et
farfelues ont été avancées à son sujet : une grotte sépulcrale,
un ermitage, une grotte "camisarde" bien sûr... Une
dénomination curieuse, la "grotte du baron pillard",
(transmise par Olivier Poujol), pourrait sans doute raconter encore
une autre histoire, sans que celle-ci hélas ne nous soit parvenue.
Aujourd'hui, une hypothèse vraisemblable est avancée par les
archéologues. Il s'agirait d'un "forciarum", c'est à dire
une petite fortification datant du moyen-âge qui, à la différence
des châteaux, ne sont pas construits ni gérés par un seigneur,
mais par les habitants d'un hameau pour assurer leur propre
protection en cas de besoin. Les châteaux sont en général
visibles, en évidence, sur des points haut, les forciarum sont
plutôt discrets par nature, et en principe inoccupés en période
calme. Selon cette hypothèse, le replat situé sous la grotte
constituerait donc une "courtine", à savoir une petite
cour protégée par un premier niveau de fortification, dont l'entrée
se serait située au niveau de la fameuse arche taillée dans la
roche.
Par la suite, on sait que le site a été utilisé à
d'autres fins, mais qui n'ont été que secondaires par rapport au
rôle premier de la cavité.
Oui, il y a de quoi rêvasser longtemps à la Balme de Fraissinet.
Pour revenir vers la civilisation, offrez-vous le luxe d'une
boucle : une fois redescendus au sentier, continuez vers le nord
pendant un kilomètre et demi, vous croiserez un large chemin qui
vous permettra de remonter sur le plateau. Il reste trois magnifiques
surprises à découvrir : la grotte des têtes humaines, située sous
le sentier quelques centaines de mètres avant la remontée
(difficile à trouver !). une fois sur la bordure du plateau, vous
passerez devant l'un des charniers à vautours du parc national des
Cévennes, si vous avez de la chance vous assisterez en direct à une
curée... quelques dizaines de mètres au delà, un magnifique
tumulus trône au sommet d'un mamelon.
Il y a à peu près tout dans cette balade. Comptez au moins 3
heures sinon vous serez frustrés. Merci à Daniel André qui m'a fait découvrir et raconté le site, à Jean Yves Boutin, Olivier Poujol pour leurs informations et réflexions complémentaires.
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