Cévenol / Pas cévenol ?
- Tu sais ce que ça veut dire, être cévenol ? Je vais te le dire, moi, ce que c'est un cévenol !
Mon
interlocuteur appuie ses paroles en agitant son index vers le ciel,
comme un instituteur qui martèle une leçon. Un malaise m'envahit. Je
n'ai pas une folle envie d'entendre sa définition, qui ne sera peut-être
pas à mon avantage. Je suis ce qu'on appelle un néo-arrivant, et il m'est
parfois arrivé d'en prendre pour mon grade dans ce genre de
conversation.
Lui est cévenol d'origine, indubitablement. Ses
grands parents étaient paysans dans un hameau perdu entre calcaire et
schiste. Ses parents sont partis vivre en ville, là où il y avait du
travail, là où la vie était plus facile, mais à chaque vacances, chaque
week-end, la famille reprenait le chemin du haut pays pour se
ressourcer à la terre des ancêtres. C'est comme ça qu'il a appris les
gestes des paysans, les recoins de la montagne, l'histoire ancienne et
récente. Il en est resté ébloui, marqué à jamais par ces souvenirs de
bonheur total. Au moment de faire ses propres choix, il n'a pas pu ou
pas voulu "remonter" dans la montagne de ses origines. Il vit au loin,
dans une autre montagne, mais sa bonne situation n'a pas réussi à lui
faire oublier ses Cévennes de cœur. Il y revient régulièrement, l'été
ou à la période des champignons... mais ce n'est pas pareil, il le sent
bien et il en est malheureux. Beaucoup d'expatriés comme lui sont
amers. Ils aimeraient que le pays reste comme ils l'ont connu dans leur
jeunesse. Ce n'est pas facile de le voir investi puis, inévitablement,
transformé par des néo arrivants comme moi.
Je ne suis pas
trop inquiet car mon interlocuteur est un homme ouvert, amical et
communicatif avec tout le monde. Mais après sa question introductive, je
me prépare tout de même à recevoir une réponse qui tue, celle qui va
nous éloigner. Comme lorsque, au cours d'une conversation agréable avec
une personne que l'on connaît peu, tombe le classique "Le problème,
c'est qu'il y a trop d'arabes, par ici. Vous ne trouvez pas ?"
Vais-je avoir droit au célèbre "Il faut avoir dix générations au cimetière pour être cévenol" ?
Ca
me ferait mal d'entendre ça là, maintenant. Je m'implique autant que je
le peux dans la vie locale, je n'aime rien tant qu'aller à la rencontre
des gens, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs, et ils me le rendent bien.
Ma propre définition du cévenol (ou du normand, ou savoyard)
ressemblerait peut-être bien à cela : "Le cévenol c'est celui qui
s'implique dans la vie des Cévennes". Il y a tant de manières de
s'impliquer sur un territoire, tout le monde peut trouver sa voie.
Certaines
familles installées en Cévennes depuis 30 générations ne s'impliquent
pas beaucoup, ne connaissent pas bien leur pays. Il y a aussi plein de
gens d'ici qui sont accueillants, contents de voir des "étrangers"
arriver. Il y a des gens récemment arrivés qui n'ont pas envie d'aller à
la rencontre des gens d'ici. Tous les cas de figure existent. Ce n'est
pourtant pas difficile de faire le lien. Il suffit de prendre le temps
de la rencontre, de laisser ses préjugés de côté. On est capable de
s'entendre entre gens très différents les uns des autres. Au delà des
divergences, il y a toujours des choses qui nous rapprochent.
Toutes
ces idées tourbillonnent dans ma tête. Je tente de les organiser, pour
avoir quelque chose de sensé, de percutant, de convaincant, à répondre à
mon interlocuteur lorsqu'il m'aura assommé d'une réponse sans
concession.
- Les cévenols, tu vois, c'est simple. Ce sont les gens qui vivent en Cévennes. Il n'y a pas d'autre définition ! Je
respire. Sa définition est beaucoup plus ouverte que la mienne. En me
l'assenant avec force, il me reconnait comme cévenol. Et il me force
aussi à accepter ceux qui pensent différemment de moi. Et cela me fait
du bien.
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