Au fil des saisons
Ce matin, le sommet du Mont Lozère était blanc. Juste un chapeau, à la lisière inférieure
horizontale et bien marquée. La première neige. Elle a tardé un peu, cette année...
mais elle est tout de même là. Me viennent des souvenirs de petite pluie normande
: pluie tiède en été, un peu plus fraîche en hiver... guère plus de différence entre
les saisons.
Ici, malgré le réchauffement climatique déjà en route, les saisons restent bien
marquées. La proximité avec la Méditerranée apporte la chaleur de l'été, et l'altitude
aide l'hiver à tenir sa place. Chaque période
de l'année apporte ses particularités
et la vie doit se faire au rythme des contraintes qu'elles imposent, pour notre
plus grand bonheur...
L'automne qui s'achève est une saison... merveilleuse. Fin août, la température
s'effondre soudain, surprenant chaque année tout le monde. En quelques jours les
chaleurs épouvantables laissent place à une drôle de tiédeur fraîche qui fait frissonner
par contraste. Il faut rapidement ressortir des habits appropriés. Pas encore très
chauds, mais douillets : sweat-shirts, vieux pulls. Puis la vie se réorganise. Trop
bête de rallumer le chauffage, on tiendra grâce à des flambées dans la cheminée.
La cellule familiale se resserre soudain autour de ce point qui devient le coeur de la maison. En rentrant de l'école, Nils s'écrie "Chouette, un bon feu !" et il
s'installe pour lire une BD, collé à l'âtre, oubliant momentanément qu'il existe
quelque part des Gameboys.
Qu'on soit amateur ou non, l'automne est la saison des
cueillettes, prétextes à de longues balades dans des sous-bois escarpés
et sur des versants embrumés. C'est la frénésie de sortir, sortir encore avant que
le froids n'arrive... Les dernières belles journées de l'année sont éclatantes
de lumière et de douceur. A un âge où l'on préfère arpenter la ville avec sa bande
de copains, les enfants se laissent persuader de parcourir la montagne, sentant
bien que ces moments vont vite filer. Ces oasis de grand bleu sont parfois interrompues
par des périodes étonnantes, les épisodes cévenols,
durant lesquels d'énormes pluies assomment les Cévennes et les laissent détrempées
pour plusieurs jours.
Dans la nuit, la température chute à nouveau, cristallisant les feuilles des derniers
poireaux du potager. L'hiver est là. Les journées sont si courtes que le ramassage
scolaire dépose les enfants dans
la nuit au retour du collège. La vie quotidienne
a totalement déserté le dehors pour se recentrer autour de la cheminée. Pourtant,
lorsque la première neige apparaît au loin, tout le monde a envie d'y courir. Il
faudra encore attendre un mois ou deux avant de pouvoir, sur un coup de tête du
mercredi midi, monter sur l'Aigoual chausser les skis sur une vraie bonne couche...
Alternance de longues périodes de cocooning et de courtes aventures de froids et
de clarté... l'hiver se passe ainsi. En janvier, le froids se fait momentanément
plus sec. Les
nuages désertent les Cévennes et laissent place à un ciel bleu profond
inondé de soleil. A l'ombre des arbres, des taches d'herbe rase restent blanches de givre toute la journée alors qu'à quelques mètres il fait bon pique-niquer bras
nus avec ses amis.
Sur la fin, cet hiver de joie se laisse aller. La pluie refait son apparition, glaciale,
juste au dessus de la température de gel. La pire qui soit, celle qui glace la moêlle,
détrempe les chemins, vous arrive par gifles, poussée par des rafales de vent du
nord traître comme tout. Toute sortie se transforme
en une souffrance, le verre
à recycler et le compost s'accumulent sans que personne ne prenne la responsabilité
de les amener là où ils doivent se trouver. Période de moral creux. Envie de lumière,
de chaleur, de sécheresse.
Un jour... il est là. Le vent tourne au sud, amène des bouffées de tiédeur humide,
puis s'arrête. La végétation est grise et terne, à ras du sol, mais l'atmosphère
respire. Le printemps est une saison étonnante en Cévennes : par de champignons
à ramasser, pas de baignades, pas de ski... rien que des activités courantes, et
pourtant la vie reprend tout doucement. La route du matin pour aller au travail
à Florac est un nouvel enchantement, chaque année redécouvert. La vue à couper le
souffle réinstalle la certitude que la vie est là et pas ailleurs. L'herbe repousse
à grands élans, le potager doit être repris à l'occasion de longues après-midi...
tout redémarre, a vie se réorganise.
Un après-midi de fin mai, en ramenant les enfants de Florac, une idée folle : et
si on s'arrêtait à la rivière ? Elle est sûrement encore glacée, mais l'air est
si bon, l'herbe si verte... Les pieds dans l'eau, les enfants commencent à monter un barrage qui ne sera jamais fini.
La température a monté régulièrement. Fin juin il fait une chaleur épouvantable.
Durant les journées d'école, les enfants ne rêvent qu'à la rivière. Chaque soir
les cartables sont jetés en vrac dans la cuisine et la meute se rue dans la voiture.
Chaque petite plage est maintenant occupée par ses habitués : "Zut, ya quelque'un
!". Tous les autochtones ont eu la même idée que nous. Dans 15 jours, avec l'arrivée
des touristes, la promiscuité va augmenter sur les bords de rivières. Les locaux
quitteront les plages les plus connues pour se retrancher sur les "petits coins",
moins grandioses, moins accessibles, mais silencieux.
Les mois passent. Les journées à la rivière ont succédé aux journées à la rivière.
L'eau, chauffée à blanc par le soleil, est à son maximum de température, mais ne
coule plus guère et se charge d'algues. Dans les Cévennes, en été, les visites d'amis
sont fréquentes : à croire que, loin d'être le "bout du monde", on se trouve au contraire au centre du monde, passage obligé d'un lieu de vacance à un autre pour
tous... Tout ce beau monde se retrouve immanquablement à la rivière, qui devient
le lieu de causerie, prise de nouvelles...
25 août. Cette après-midi, il n'y a pas eu unanimité pour descendre à a rivière.
Il y a dans l'air un je ne sais quoi de... fraîcheur ? C'est le début de la fin.
En quelques jours, l'air se rafraîchit. A la première pluie, l'eau devient trop froide pour se baigner. C'est l'automne.
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