Inévitablement, lorsqu’on est fréquemment en haute montagne, il advient des situations limite, des incidents, des « galères », voire des accidents. Dans cette rubrique je tente d’identifier les dangers potentiels auxquels on peut être confrontés, puis j’essaie d’apporter des conseils de comportements et de gestes techniques pour se sortir au mieux des situations problématiques, lorsque c’est possible.
Voici une hiérarchisation très personnelle de ces dangers :
- Tomber dans une crevasse. Le risque n°1 en itinéraire glaciaire… même en terrain très facile.
- Dévisser (d’une face rocheuse ou glaciaire, d’une arête…). On y pense tous… on essaie de retarder le moment… mais ça arrive.
- Les chutes de pierre. A partir de ce troisième risque, c’est la montagne elle-même qui vous envoie des objets (pierre, neige, glace…) sur le coin de la figure.
- Les avalanches. Voilà un risque mythique de la haute-montagne.
- Les corniches. Souvent fragiles, elles peuvent s’écrouler à notre passage… ou nous tomber dessus !
- Les plaques à vent. Mystérieuses, souvent invisibles à l’œil nu… Une des dangers que je crains le plus… mais
- Les chutes de sérac. La montagne dans toute sa puissance destructrice.
- Le mauvais temps. Mon inquiétudes principales en haute montagne.
- Le mal de l’altitude, qui peut être dangereux indirectement (il diminue fortement les ressources physiques et mentales) et directement (il peut causer de graves dommages dans les cas extrêmes).
- Le froid
Tomber dans une crevasse
Ce vaste sujet, à mon goût, mérite une page à part.
Dévisser
Par définition, en haute montagne on progresse souvent sur un terrain raide (une face rocheuse ou glaciaire), escarpé (une arête aérienne), instable (éboulis…) ou glissant (roche nue et lisse…). Le risque de glisser, de perdre l’équilibre et de dévisser est donc souvent bien réel.
Eviter la chute
Idéalement, il faut privilégier la prévention :
- Ne s’engager dans un passage exposé que si l’on estime avoir les capacités à en surmonter la difficulté technique et à se protéger raisonnablement du risque potentiel.
- Si on estime le risque de chute élevé, poser un dispositif d’assurance, voire d’aide à la progression.
- Il est également possible, en cas de passage trop raide, de treuiller les sacs à dos pour pouvoir être ensuite plus léger et plus mobile.
Gérer la chute
C’est une chose que d’énumérer ces possibilités, mais tout alpiniste qui prend un tant soit peu ses responsabilités a vécu d’innombrables fois cette situation classique et redoutée : se retrouver en difficulté dans un passage qui pose plus de problèmes que ce qu’il avait semblé de loin… La chute est donc un événement auquel il est très probable d’être confronté plusieurs fois au cours d’une vie d’alpiniste. La personne qui tombe ne peut hélas généralement rien faire de particulier pour arranger sa situation : tout va très vite et met en jeu des forces qui la dépassent. Les conséquences de la chute dépendront donc essentiellement de la qualité de l’assurance, c’est à dire :
- le type d’encordement, qui doit être adapté au terrain sur le quel on se trouve (lisez la page l’encordement)
- le mode de progression, qui doit lui aussi être adapté. Jetez un coup d’oeil à la page progression, qui détaille les attitudes à adopter sur différents terrains.
Après la chute
Si la chute a été correctement enrayée les choses en resteront peut-être là. Si ce n’est pas le cas, à priori il y aura un blessé. Les coéquipiers devront traiter le blessé selon son état.
Les chutes de pierres
Ce bruit sourd est resté collé à mon oreille effrayée par delà les années. Je marchais tranquillement sur un névé horizontal au pied d’une barre rocheuse dont j’ai oublié le nom et la localisation, mais la scène pourrait se passer n’importe où. La neige bien transformée portait de manière agréable, une belle trace permettait de n’avoir même pas à se préoccuper de l’itinéraire. Nous étions donc tous perdus dans nos rêves, regard tourné ver le sol.
Sans un avertissement, une pierre de la taille et à peu près de la forme d’un ballon de rugby est venue s’encastrer dans la neige, sur la trace, un mètre devant moi. Elle n’a pas rebondi, pas basculé… elle s’est simplement plantée là, sans plus bouger, envoyant une gerbe circulaire de neige mouillée voler tout autour.
Je me suis arrêté.
Voilà un exemple de « chute de pierre » contre lequel il n’y a pas grand chose à faire : pas de signe préliminaire, pas de temps de réaction possible… elle tombe sur ta tête qui explose, ou elle tombe ailleurs. C’est le hasard qui fait les choses, souvent bien, heureusement.
La plupart du temps, la scène se déroule différemment. Des cliquetis et des craquements se font entendre, quelque part au dessus de votre tête. Un rapide coup d’oeil vous apprend que des petits cailloux rebondissent de paroi en paroi, assez loin au dessus. De petits nuages de fumée naissent de chaque impact… et puis, une fraction de seconde plus tard, des pierres de plus gros calibre émergent du sommet de la barre rocheuse, et c’est une cavalerie en marche qui se précipite sur vous…
Essayer… d’éviter les chutes de pierre !
Les spécialistes classent les chutes de pierre dans les « risques objectifs », ce qui signifie qu’à priori on ne peut pas y faire grand-chose : ils existent indépendamment de notre compétence.
Il faut comprendre que la chute de pierre est quelque chose de naturel et de fréquent en montagne dès lors que l’on passe sous une paroi rocheuse ou une pente un peu raide. L’action mélangée du gel et du dégel a une action particulièrement destructrice sur tous les types de roche et la montagne se purge sans cesse de tout ce qui ne tient pas bien. Il faut donc impérativement se familiariser avec ce risque, savoir l’anticiper, savoir y réagir.
La première chose à faire est d’éviter au maximum de passer du temps dans les endroits les plus exposés, comme :
- Les parois mélangeant pierre et glace : dès que la température passe au dégel, la glace fond et libère des pierres.
- Les couloirs rocheux ou glaciaires. Leur forme a tendance à concentrer en un espace relativement étroit les pierres qui se décrochent dans une vaste portion de paroi. Il faut toujours chercher à y rester le moins longtemps possible, et si possible aux heures très froides de la fin de nuit ou du petit matin
Si on est obligés de passer dans ce type d’endroit, hé bien… on essaie de courir. Inversement, les arêtes et bombés, même en terrain très incliné, sont peu exposés aux chutes de pierres, on peut y faire la pause sans trop de risque.
Par ailleurs, quelques indices permettent de détecter à distance les endroits exposés :
- Sur rocher, la présence au sol d’un éboulis « non fixé » : les pierres sont « fraîches », mobiles, sans végétation… signe que ça tombe souvent
- Sur glacier ou névé, la présence de nombreuses pierres enfoncées dans la neige donne la même indication… passer au large.
Affronter plutôt que fuir
Tout ça va très vite, alors ce n’est pas le moment de réfléchir des heures. Je ne vous donnerai pas ici de conseils longs et complexes que vous n’auriez pas le temps de mettre en œuvre (et que, d’ailleurs, je ne connais pas !). Des dizaines de fois ou je suis passé au travers d’un tel événement, je retiens une seule chose : mieux vaut affronter que fuir.
Fuir, ça veut dire se mettre à courir (quand on peut). C’est une réaction naturelle, instinctive. Mais d’abord ce n’est pas toujours possible : on peut être dans un terrain trop technique, ou encordés trop courts pour avoir la moindre liberté de mouvement… Et puis, ça ne permet pas de garder un œil sur l’ennemi, à savoir la (et généralement les) pierre(s) qui tombent. On peut venir se placer exactement dans la trajectoire de celle que le destin décide alors, grâce à vôtre aide, de vous destiner.
A moins que la chute de pierre soit d’une densité terrifiante (auquel cas je ne peux rien pour vous), les pierres qui passeront à proximité immédiate de vous seront séparées de quelques fractions de secondes. Ca peut paraître court, dit comme ça, mais si vous êtes concentré, bien placé, vous aurez un certain temps pour réagir, déplacer votre corps d’une courte distance, qui permettra à la pierre de passer au large, puis d’attendre la suivante.
En résumé donc : aux premiers bruits suspects, tournez vous face au danger, observez le plus calmement possible ce qui se passe, repérez la ou les pierres qui vont passer près de vous, et… faîtes de votre mieux.
Bonne chance.
Les avalanches
Voilà un risque mythique de la haute-montagne, sur lequel je ne peux pourtant pas dire grand chose car je n’ai jamais été confronté personnellement à des avalanches d’importance, tout au plus des coulées de petites dimensions auxquelles il m’a été assez facile de résister.
Éviter les zones avalancheuses
Un alpiniste autonome serait, dans l’idéal, censé savoir reconnaître au premier coup d’oeil la combe avalancheuse et passer ailleurs ou renoncer… Facile à dire, mais souvent moins facile à faire, parce que ce n’est pas toujours possible de passer ailleurs ou de faire demi-tour, ou parce qu’on n’est jamais totalement certain de savoir comment telle zone de neige va se comporter, même après 20 ans de pratique… Et puis, il y a toujours cette tendance à se dire en son for intérieur « Bah, je ne peux pas croire que je risque vraiment quelque chose… ».
Il y a cependant au moins un petits trucs facile à appliquer en cas de doute : il s’agit de toujours privilégier les itinéraires d’arêtes, de lignes surélevées, par rapport aux endroits qui vont naturellement attirer une éventuelle avalanche par gravité. Question de bon sens !
Réagir dans l’avalanche
De mon expérience des petites coulées, je ne peux que déduire une chose : ce qui emporte, c’est l’accumulation rapide d’une grande quantité de neige entre le corps et la pente. Pour minimiser cette force et avoir une chance de résister, il faut donc s’arranger pour que la neige passe au dessus du corps, sans s’arrêter. Comme face à une vague trop grosse qui va nous ballotter en tous sens, il faut plonger dessous, se coller à la pente, s’allonger, se faire tout plat… tout en protégeant sa bouche et son nez. C’est en fait, m’a-t-il à chaque fois semblé, assez instinctif. On sens une pression qui grossit, grossit, essaie de nous arracher à la pente… puis qui diminue, diminue… et finit par disparaître totalement. On se redresse, on s’ébroue, envoyant voler au loin des gerbes de neige… c’est fini !
Le problème est, paraît-il, nettement différent lorsque l’on est confrontés à de grosses coulées. Les risques sont alors d’être écrasé, emporté, totalement enfoui sous une grande épaisseur, étouffé… Je ne peux pas en parler. Si quelqu’un a des témoignages ou des tuyaux pour ce genre de situation, je suis preneur.
Sortir quelqu’un d’une avalanche
Qui a l’adresse d’un bon document sur le sujet ?
Les corniches
Massif des Agneaux, avril 1989
Sous le ciel matinal d’un bleu incroyablement profond, je progresse tranquillement sur une vaste selle neigeuse presque horizontale. Dans les derniers détail du pliage du bivouac, Pascal est resté quelques centaines de mètres en arrière, et seul dans l’air piquant, je m’imprègne avec bonheur du silence de la montagne.
A ma droite, la pente encore faible s’incurve tout doucement et disparaît vers le couloir Davin. A ma gauche, la ligne nette que trace la neige sur fonds de ciel bleu m’informe sans ambiguïté qu’il y a là une corniche. De quelle importance ? Je ne sais pas, alors je ne prends pas de risque, et je m’en tiens prudemment à distance, une dizaine de mètres peut-être… J’avance sans trop réfléchir, tout à mon plaisir, écoutant le crissement de la neige sous mes pas.
Tout à coup, il y a comme une rupture dans l’univers sonore qui m’entoure. J’entends une sorte de souffle grave, un soupir profond de la montagne sous mes pas. « Woufff » ! Je sens aussi un mouvement. Court mais ample, qui englobe une vaste portion de cette selle sur laquelle je me tiens. Une émotion violente me saisit, une peur incontrôlée. Mes yeux vont et viennent de droite et de gauche pour comprendre, mes pensées volent dans toutes les directions. C’est le bruit d’une plaque à vent qui s’affaisse, je l’ai souvent entendu dans d’autres circonstances… on est sur le plat, donc pas de risque que cette plaque parte… oui mais, une plaque à vent sur le plat, c’est bizarre… il y a quelque chose qui ne colle pas.
L’évidence me traverse soudain : c’est la corniche. Elle craque. Elle va tomber… pris d’une énergie folle, le corps traversé par une violente décharge d’adrénaline, je me mets à courir vers la gauche. M’éloigner, vite, très vite… trop tard ! Un immense craquement traverse la selle d’un bout à l’autre, le sol se dérobe sous mes pas… sur ma lancée, malgré ma chute, je suis projeté au sol un peu plus loin. Malgré le grondement continu qui se fait entendre derrière moi, je sens que le sol est maintenant stable. Comme dans un rêve je vois, à plusieurs dizaines de mètres, l’extrémité de la corniche achever de se détacher et partir dans le vide, si grosse et lointaine qu’elle semble tomber au ralenti. Deux mètres derrière moi, la trace que je viens de faire dans ma fuite disparaît dans le vide.
Je reste ainsi quelques secondes, écoutant le sang taper à mes oreilles pendant que le grondement qui va s’éloignant se répercute contre les parois rocheuses les plus proches. Je suis encore assis dans la neige lorsque la tête de pascal apparaît derrière une bosse : « Fait super beau, hein ? »
Les corniches, il y en a partout, sur tous les itinéraires d’arêtes. Elle sont si belles, mais dangereuses aussi. Je ne connais pas 36 méthodes pour minimiser le danger :
Se tenir à distance des corniches
Dans l’exemple raconté ci-dessous, j’ai fait craquer une énorme corniche (peut-être 60 mètres de long) en passant à une dizaine de mètres du bord. J’ai un autre souvenir aux dômes de Miage d’une toute petite corniche (peut-être 1 m d’avancée sur le vide) qui, en silence, tranquillement, a disparu du paysage alors qu’on passait à 2 m d’elle…
Mes constatations personnelles me font penser que pour être en sécurité il faut être à une distance qui nous place un peu en retrait de l’endroit ou émergerait la prolongation de la pente qui est située sous la corniche… c’est clair comme explication ?
Les plaques à vent
Les plaques à vent représentent un danger que je crains particulièrement. Parce qu’elles ne sont pas faciles à détecter à distance, et parce que lorsqu’on s’aperçoit qu’on est engagé sur l’une d’elles, il n’y a pas grand chose à faire que de s’imaginer tout légers et avancer à pas de velours en espérant qu’elle tiendra.
Les plaques à vent sont des croûtes de neige durcies par le vent. Elles sont dangereuses lorsque elles reposent sur une sous-couche de neige instable : poudreuse très légère, neige en gros cristaux arrondis qui n’adhèrent plus entre eux. Lorsqu’un poids important appuie sur une telle plaque, celle-ci peut craquer et partir comme un surf sur la sous-couche, entraînant les pauvres humains avec elle.
La plaque à vent se présente généralement comme une simple surface de neige dure. Lorsque l’on arrive dessus, on peut être alertés par le son que produisent les pas : une sorte de résonnement grave… mais parfois on n’entend rien.
Car encore plus retord : la plaque à vent est elle même recouverte d’une fine couche de neige fraîche qui rend encore plus difficile sa détection…
Pour éviter les problèmes…
La solution la plus sage est largement la fuite : si vous détectez une plaque à vent, passez votre chemin ! Si ce n’est pas possible, restent deux astuces plus ou moins efficaces :
- Peser le moins possible sur la plaque, en particulier en augmentant les distances entre les personnes qui passent
- Si la plaque n’est pas trop épaisse, il peut être possible de la percer (avec le pieds, le piolet… et de passer la jambe au travers du trou pour s’appuyer directement sur la sous-couche. C’est long et fatigant, mais le faire au moins tous les quelques pas, pour assurer le précédent ou le suivant, est une sécurité.
Si la plaque part…
Ca ne m’est jamais arrivé, je ne peux que parler par procuration. J’ai entendu de gens dire qu’on a alors une fraction de seconde pour essayer de planter le piolet dans la sous-couche au travers de la plaque pour essaye de l’immobiliser avant qu’elle n’ait pris trop de vitesse… à tester !
Les séracs
C’est peut être la troisième fois en 10 ans que que je remonte la mer de glace jusqu’au glacier du géant, pour aller vers le Mont Blanc par le chemin des écoliers. Je me sens en terrain familier. Pour franchir le ressaut de séracs qui barre le glacier au niveau du refuge du Requin, le topo est explicite : il faut « passer vers le milieu du glacier », et surtout « éviter de monter trop haut vers la droite au pied des rochers ».
Peut être suis-je victime du syndrome de la chambre du château de Barbe-Bleue, qui veut que tout endroit interdit attire irrémédiablement ? En observant le passage depuis un peu plus bas, il me semble justement que les longues bandes glaciaires horizontales, en haut à droite sous les rochers, nous mèneront rapidement et facilement sur le replat glaciaire que l’on devine au delà. Voilà une bonne occasion de faire mentir le topo et de changer un peu…
Évidemment, au tournant de la barre rocheuse, les fameuses »bandes glaciaires » se rétrécissent et se redressent, imperceptiblement mais sûrement. Voulant à toute force être confiant, je reste persuadé que « juste un peu plus loin, c’est sûr, les choses vont s’arranger ». Mais bientôt les bandes glaciaires disparaissent tout à fait et cèdent la place à un entrechoc de séracs débités par des crevasses profondes et torturées. Nous voilà bientôt perdus dans une mer furieuse, errant au pieds de vagues de glace géantes prêtes à retomber en rouleaux d’écume bouillonnants. Tous ici est momentanément immobilisé dans de très fragiles équilibres qui cachent pourtant un mouvement permanent : des amas de glace pilée jonchent le sol, racontant les chutes permanentes de blocs qui viennent régulièrement éclater un peu partout.
Encore un peu plus haut, des crissements se font entendre, puis bientôt ce sont des craquements, des soupirs, et enfin de véritables coups de boutoir que nous sentons résonner au travers de nos pieds. Chaque fois, instinctivement, nos regards explorent fiévreusement les séracs qui nous surplombent pour deviner lequel nous tombe dessus. Il faut quitter ce lieu, et vite !
Pour cette fois l’histoire se termine bien. Un retour en arrière, un chemin de traverse qui nous remet… sur l’itinéraire proposé par le topo, qui en a vu d’autres !
Les séracs constituent un risque particulier en haute montagne : le risque d’en voir un tomber, a un endroit précis et un moment précis, est souvent faible… mais on passe si souvent à proximité de l’un d’eux que finalement le danger finit par prendre corps et exister. Le problème est qu’une fois engagés dans une zone exposée, il n’y a pas grand chose à faire sinon … y passer le moins de temps possible. C’est donc à chaque fois une sorte de loterie, dans laquelle on ne risque pas grand chose mais que nos cinémas intérieurs rendent cependant parfois pénible pour les nerfs. Reste que, si on se prend vraiment un sérac sur la tête, les chances de s’en sortir me semblent vraiment très, très minces, et probablement plus dues au hasard qu’à une quelconque attitude personnelle.
Pas grand chose à dire donc en terme de conseils :
- Privilégier lorsque c’est possible les itinéraires qui ne laissent pas très longuement exposés aux chutes de séracs. Contre exemple : une longue montée de plusieurs centaines de mètres de dénivelés juste dans l’axe de chute d’un sérac qui paraît fragile. Mieux vaut essayer de faire de larges lacets qui nous sortent le plus souvent possible de la trajectoire dangereuse…
- Ne pas traîner. Si besoin, se reposer juste avant d’entrer en zone exposée, puis foncer, pourquoi pas courir si vous en avez l’énergie, jusqu’à sortir de la zone exposée.
- On dit que les séracs tombent plus dans la journée à cause de la chaleur. Personnellement, je n’ai jamais constaté que cette affirmation soit vraie. Il me semble que l’activité continue la nuit… Donc à priori, rien de particulier à calculer concernant les horaires de passage.
Le mauvais temps
Le mauvais temps est évidemment un problème auquel on risque tous d’être confrontés… Il est parfois assez délicat de savoir comment réagir : fuir à toute jambe ? S’enterrer et attendre ? continuer comme si de rien n’était ? Pas facile de répondre à ces questions. Je m’essaie ici, bien modestement, à un exercice d’aide à la décision, qui retranscrit à peu près les questionnements que je me pose moi-même dans ce genre de cas.
Le mauvais temps peut prendre plusieurs visages :
- Le manque de visibilité est sans doute le pire. Dès que des nuages s’installent il devient très souvent impossible de continuer à avancer « à vue ». Soit on sait et on peut progresser aux instruments, soit on risque de se perdre, avec les conséquences dramatiques que cela peut engendrer. Voir « Progresser sans visibilité«
- Les précipitations posent des problèmes de plusieurs ordres : s’il pleut on se mouille et on devient beaucoup plus sensible au froid. S’il neige beaucoup, la progression va rapidement devenir plus fatigante, et certaines pentes peuvent devenir avalancheuses.
- Le froid est désagréable mais est moins problématique : tant qu’on est en mouvement, on peut supporter des grands froids (-20 ou plus) sans problèmes notables). Par contre, l’arrêt prolongé sans abri est très dangereux. Jetez un coup d’oeil à la rubrique « Le bivouac sans duvet«
Le froid
En haute montagne, le froid est un compagnon de tous les jours, qu’il faut savoir apprivoiser.
Le plus terrible, c’est le matin. Lorsqu’il faut s’extirper du duvet, mais surtout lorsqu’il faut sortir de la tente. Il se joue généralement à ce moment un subtil ballet au sein de l’équipe, visant à trouver quelque chose d’impératif et urgent à faire à l’intérieur, afin d’être le dernier à quitter le cocon. Les alpinistes aguerris sont des professionnels de cette pratique, et les pauvres bleus qui font équipage avec eux se trouvent invariablement mis à la porte les premiers. Le choc est brutal.
Le démontage du camp et la préparation du départ sont également des moments difficiles : le corps se refroidit rapidement car on n’est pas encore en activité physique intense. On a plein de petites tâches plus ou moins minutieuses à mener : rangement du sac, démontage de la tente, attache des crampons… les gants sont souvent une gêne, faut-il les enlever, les garder ?
Peu après le départ, les choses s’arrangent rapidement. J’ai hésité à classer le froid dans la rubrique « En cas de danger », car il est rarement vraiment un problème durant l’avancée. Le corps a une capacité fantastique à produire de la chaleur lorsqu’il est en action, et pour peu qu’on soit correctement habillé, on a facilement trop chaud dans l’effort même s’il fait -15°C. L’intérieur de la veste se transforme alors en une sorte de sauna dont il faut impérativement réguler la température sous peine de se trouver presque noyé dans une vapeur de transpiration qui, elle, peut être dangereuse lorsque l’effort cesse et que le froid recommence à lancer ses tentacules vers la peau et redépose la transpiration sous forme d’une pellicule glacée.
Par grand froid, la notion de « pause » perd toute signification. Le moindre arrêt fait baisser vertigineusement la production interne de chaleur, et en quelques minutes l’inconfort devient très grand. J’ai le souvenir d’innombrables fois où la fatigue nous a fait arrêter quelques instants notre progression. Sacs à dos posés, on sort un morceau de fromage, de pain… mais en quelques secondes il nous apparaît évident que nous ne pourrons pas les manger. Trop froid, trop de souffrance. le sac est refermé à la va-vite, une barre chocolatée extirpée d’une poche pendant que l’autre main charge le sac à dos et que les jambes commencent à se remettre en mouvement. Il faut avancer, avancer, sinon c’est la mort. Le corps oublie donc momentanément la fatigue et se remet en branle, l’esprit fuit dans des limbes perdus.
Vient pourtant un moment où un arrêt prolongé est indispensable : il faut poser le camp. C’est une opération souvent pénible car longue, et qui survient à un moment où la fatigue de la journée rend particulièrement sensible. S’il fait mauvais, ou que l’on se trouve à l’ombre d’un sommet, une course contre la montre commence. Tout en travaillant (pour une fois les tâches les plus rudes, comme creuser une plateforme dans la neige, ne sont pas les plus boudées), le corps se protège comme il peut. Les épaules se haussent dans une crispation nerveuse censée réchauffer, des souffles violents et bruyants sont éjectés par des bouches tremblantes. Un sentiment d’urgence et d’insécurité plane. Et si on n’arrivait pas à monter le camp « à temps ». Et si le courage d’agir dans cette souffrance s’écroulait soudain, laissant le corps abandonner la lutte, le froid pénétrer au plus profond des organes. Lorsque la tente est montée, les premiers qui s’y précipitent trouvent une alcôve glacée, inhumaine, qui sera heureusement rapide à réchauffer.
Le combat avec le froid est fini pour cette journée.
Ce qui crée la sensation de froid
Une température basse n’est pas un problème en elle-même, sauf en cas d’inaction prolongée. C’est généralement l’existence d’un facteur aggravant qui décuple considérablement l’effet du froids sur le corps :
- Le vent. -20°C par temps calme, c’est souvent un plaisir. Je me souviens une heure de repos tranquille et presque tiède, en simple veste polaire au sommet du Huascaran nord. Mais dès que le vent est présent, l’enfer démarre. Le froid pénètre les meilleures vestes, et surtout attaque les parties dénudées à une vitesse foudroyante.
- L’humidité. Froid sur vêtements mouillés = danger. Il va falloir bouger, bouger, jusqu’à se mettre à l’abri ou partiellement sécher (ce qui est possible si on s’agite vraiment beaucoup)
- L’état physique et mental. La fatigue physique et la déprime rendent considérablement plus sensible au froid
Les parties les plus sensibles
Les extrémités du corps sont directement et profondément sensibles au froid : les mains et les pieds (et surtout les doigts), les oreilles. Sous l’action du froids, ces trois organes peuvent gravement se détériorer en quelques minutes ! Le signal : baisse de la sensibilité, couleur qui vire au jaune, puis au blanc. C’est la circulation qui ne se fait plus correctement, le sang ne vient donc plus les réchauffer. Il faut impérativement rétablir la circulation (frotter, taper, c’est pas toujours très agréable), puis remettre au chaud. Si vous passez outre ces signes et laissez les organes exposés, ils pourront virer de couleur et passer au bleu, puis marron ou noir, en quelques heures. C’est alors très grave, probablement l’annonce d’une amputation… Je n’ai jamais connu personnellement ce genre de cas, heureusement.
Détail utile à connaître : les femmes ont une sensibilité des extrémités au froid plus grande que les hommes, c’est reconnu. Alors les gars quand votre copine se plaint alors que tout va bien pour vous, par pitié pour une fois ne faîtes pas votre macho et écoutez la. Je déteste voir des cordées avec un mec devant qui râle à tout bout de champ contre une nana qu’il a insisté pour emmener alors qu’elle n’en avait pas envie, et qui ne fait pas ensuite le strict minimum pour qu’elle passe un moment agréable.
Le visage pose un problème particulier : à priori, il ne risque pas de geler, mais la sensation de froid sur la face est particulièrement désagréable, voire douloureuse, en particulier avec un vent de face. On est alors sans cesse en train de chercher des manières de le protéger dans les rebords de sa capuche, ce qui empêche alors de respirer normalement…
La régulation de la chaleur interne
En cours d’effort, on l’a vu, le problème du froids est surtout un problème de chaleur : on a instinctivement envie de garder ses habits coupe-vent, et la chaleur s’accumule rapidement à l’intérieur, jusqu’à des températures désagréables voire incommodantes. Il faut réguler.
Cette régulation est parfois subtile : une légère entr’ouverture de la doudoune peut faire entrer à flot un air glacial qui déchire la peau sur sa trajectoire. Je prône plutôt le fait d’ôter carrément et courageusement l’épaisseur extérieure (souvent une veste de gore-tex ou quelque chose comme ça) pour ne garder qu’un vêtement poreux (fourrure polaire) qui laisse passer un peu d’air sur toute la surface du corps et facilite une évaporation assez douce et uniforme. Mais au moindre coup de vent on est transi, et on se sent toujours « sur le fil » du froid. C’est un choix.
En cas de froid décidément trop important pour enlever la moindre couche, la tête, et en particulier les cheveux, constitue un refroidisseur qui me semble efficace : cheveux au vent, on sent littéralement la transpiration s’évaporer à vue d’oeil de son cuir chevelu ruisselant. Avec un peu d’imagination et d’attention à soi on peut parfaitement visualiser un flux continu qui draine de chaque partie du corps de petites quantités de chaleurs, les concentre dans les cuisses et les épaules, puis forme de véritables émissaires au niveau du tronc évacue tout ça du corps par les cheveux.
Les vêtements
Il faut savoir qu’à part certaines tenues très spécialisées, conçues pour les expéditions polaires ou en très haute montagne, aucun vêtement ne permet de se tenir confortablement inactif par -20°C et 40 km/h de vent. Il n’est à mon avis pas d’une grande utilité de rechercher la solution miracle.
Il suffit de prévoir une tenue correcte de progression : tee-shirt, sweat shirt, une ou deux fourrures polaires, (une fine et une épaisse), et une veste coupe vent imperméable (genre gore-tex). Quelques trucs intéressant et efficace tout de même :
- les vestes sans manche en plume, du genre de celles conçues pour les travaux forestiers. Elles sont légères et chaudes, les bras découverts permettent de ne pas trop chauffer en marche…
- un passe-montagne en fourrure polaire. Léger, délicieusement doux et confortable lorsque le vent glacial souffle, permet de ne laisser exposé que le nez…
Une bonne tenue d’intérieur pour les soirées sera par contre extrêmement précieuse car elle permettra d’être dans une ambiance confortable pour bien se reposer : sous-vêtements secs, fourrure sèche, pantalon de survêtement…
La gestion des pauses
Par grand froid, les pauses les plus importantes ne pourront pas dépasser quelques minutes. Il n’est pas question par exemple de se préparer un repas chaud ou une boisson, à moins d’installer un abri, ce qui prend du temps…
Tout le trajet de la journée devra donc quasiment être fait en une seule traite. C’est la raison pour laquelle il est utile de prévoir dans les poches tout ce qu’il faut pour prévenir les fringales et les soifs passagères sans avoir à tomber le sac, voire même à s’arrêter.
Traiter un blessé
Nous voici donc dans la situation ou un membre de la cordée a un problème. Il est blessé, malade, choqué, inconscient… C’est aux compagnons de cordée d’agir. Il est bien difficile de donner des indications d’actions précises tant les situations peuvent être différentes les unes des autres. Restons donc dans les généralités.
Mettre la personne en sécurité
C’est la première chose a faire en cas de problème.
- Lui confectionner une plateforme si on est en face neigeuse, la monter ou plus facilement la descendre sur un replat si on est en face ou arête rocheuse…
- S’arranger pour qu’elle n’ait pas froid. La couvrir avec des habits, une couverture de survie, encore mieux un duvet si on en a un. Si on a une tente et que les environs s’y prêtent, la monter et installer le blessé dedans.
La seule exception que je vois à cette règle concerne une personne atteinte du mal aigu des montagnes. Si vous êtes sur un site qui le permet, l’urgence absolue est de perdre de l’altitude. Voyez « L’altitude et ses effets« .
Apporter les premiers soins
A moins d’avoir des compétences médicales approfondies (ce qui n’est pas mon cas) et d’être très bien équipé, il n’est pas souvent possible de faire grand chose. Le travail consiste donc essentiellement à :
- arrêter une éventuelle hémorragie
- soulager la douleur grâce à des antalgiques
- donner à boire
- et, seulement si l’on estime avoir une bonne compréhension de l’affection dont souffre la personne et si l’on sait précisément le soin qu’elle requiert, apporter ce soin… mais là, ça sort de ma compétence.
Estimer l’état de santé pour décider de la conduite à tenir
Il faut être très vigilant dans l’estimation de l’état de santé de la personne. On peut assez facilement être abusés dans un sens ou dans l’autre :
- l’absence de signes physiques visibles peut cacher un traumatisme qui va mettre quelques minutes ou quelques heures à se révéler.
- Inversement, il n’est pas rare que quelqu’un qui a subi un événement un peu violent physiquement et émotionnellement soit sujet à une réaction physique parfois impressionnante (vomissements, tremblements, légère perte de connaissance…) qui peut n’être qu’une manifestation passagère sans gravité, qui disparaîtra d’elle-même après quelques heures, voire quelques minutes.
Seuls les cas les moins graves, avec quasi absence de choc physique et émotionnel, pourront éventuellement permettre de continuer le raid après une bonne période de repos. Dans tous les autres cas, il faudra envisager le rapatriement de la personne.
Redescendre la personne
Il y a trois manières d’envisager la chose :
La personne redescend de manière autonome
Si la personne n’est pas sérieusement atteinte (c’est à dire, d’après mes critères personnels, qu’elle peut se déplacer seule de manière autonome). Dans ce cas, s’il existe un itinéraire très facile, il est possible d’envisager une redescente par ses propres moyens.
La personne est redescendue par ses coéquipiers
Si la personne ne peut pas se déplacer seule de manière autonome, il sera éventuellement envisageable de la faire descendre par ses coéquipiers, mais cela nécessite un certain nombre de conditions :
- son état ne nécessite pas de prise en charge médicale urgente,
- les coéquipiers sont au moins 2
- ils ont suffisamment la pêche et la compétence pour ça
- il existe un itinéraire de descente suffisamment facile (apparenté à de la randonnée).
Cette solution me semble toutefois à éviter si on le peut, pour plein de raisons :
- Transporter une charge de 70 kilos est physiquement et techniquement très difficile. C’est une excellente occasion pour ceux qui font le travail de se blesser à leur tour ou de s’épuiser complètement.
- Une descente dans de telles conditions est forcément lente. Que peut-il se passer dans l’intervalle ? Une dégradation des conditions météo ? De l’état de santé de la personne ?
- A priori en raid on est déjà chargé. Cela signifie donc abandonner sa propre charge et celle du blessé. C’est un détail, mais qui peut avoir son importance car en cas de problème on sera très démuni (plus de duvet, de tente…)
Comment descendre un blessé par ses propres moyens
Techniquement, si on n’est pas équipés d’un brancard (ce qui est généralement le cas lors d’un raid en haute montagne) il existe deux techniques principales pour descendre un blessé :
- deux personnes se placent de part et d’autre du blessé et passent une épaule sous chacune de celle du blessé. Celui-ci reste donc en position verticale. Cette technique nécessite que le blessé soit conscient et « rigide », qu’il puisse un peu aider avec des jambes
- à l’aide d’une corde on confectionne un « cacolet » : on love la corde en « 8 » (diamètre estimatif de chacune des boucles du 8 : 50 à 60 cm). On enfile ce 8 comme un sac à dos, ce qui ménage deux boucles pour les cuisses du blessé, que l’on peut ainsi asseoir sur le dos.
Par expérience, je peux témoigner qu’aucune de ces deux techniques n’est facile ni confortable. Le cacolet, en particulier, équivaut à porter un très mauvais sac à dos lourd de 70 kilos. La seule fois où il m’ait été donné d’y avoir recours, j’ai du procéder par sauts de 30 à 40 m de dénivelé entrecoupés de pauses de plus en plus longues et fréquentes. Bref, pour faire 1000 m (sur herbe et avec un grand soleil) il a fallu une demi journée.
La personne est redescendue par les secours
Décider de l’appel des secours est souvent une décision difficile. On a bien du mal à admettre que cette fois on ne pourra pas s’en sortir tout seuls… Et pourtant, à partir du moment ou une personne est sérieusement atteinte, c’est souvent la seule solution raisonnable.
Reste à savoir comment y faire appel. Le portable est bien sûr la solution la plus simple, si vous n’en avez pas ou qu’il ne passe pas il faudra faire une descente rapide pour aller soi-même chercher les secours…